Destination : 22 , Expliquez le monde
Les frasques de la cousine de Narcisse
En ce temps là, le vent était brise, la pluie rosée. Le ciel diffusait une
lumière claire sans flèches ardentes. La chaleur était douce; il n'y avait
ni été ni hiver. L'herbe formait des tapis soyeux et moelleux. Les fleurs
aux senteurs suaves et aux couleurs délicates faisaient le délice des
gourmands. La terre était onctueuse, le sable fin comme la poudre d'or.
Les mers et les lacs s'étendaient paisiblement, lisses, sans l'ombre d'une
ride. Les poissons nageaient sans troubler le miroir de l'eau.
Toute chose pouvait se mirer. Les montagnes, les arbres, le ciel ne s'en
privaient pas. Hélas les miroirs étaient interdits aux humains qui ne
devaient en aucun cas s'en approcher à moins de dix mètres et uniquement le
jour.
Cette eau appartenait aux Dieux. L'aigle royal et son escouade de petits
vautours surveillaient en permanence ces miroirs divins.
Si un être humain dépassait les limites, il était aussitôt emporté dans les
puissantes serres des rapaces, et finissait ses jours sur un replat de la
falaise. La mort venue, ses restes servaient de nourriture aux aiglons. Les
nuits sans lune on pouvait entendre la longue plainte des âmes perdues.
On racontait que les Dieux venaient la nuit s'admirer, à la lueur de la
lune. Ils pêchaient des étoiles qu'ils accrochaient ensuite dans le ciel
selon des dessins qu'ils appelaient Cassiopée, Orion, Pégase... Les étoiles
qui se détachaient étaient condamnées à errer entre l'eau et le ciel. On en
trouve encore parfois de ces petites lucioles les nuits chaudes d'été.
Les humains avaient à leur disposition le torrent glacé qui descendait du
sommet enneigé de la montagne sacrée en roulant des eaux tumultueuses.
Chacun avait beau essayer de se pencher au-dessus de l'eau, la rivière
emportait au loin les reflets.
Or dans le village il y avait une jeune fille très belle. Depuis sa plus
tendre enfance elle entendait "Comme Jonquille est jolie ! On la dirait
fille d'un Dieu !" Les années passant la belle désirait s'admirer. Autour
d'elle chacun tenta de l'en dissuader.
Une nuit sans lune, Jonquille se faufila hors de la maison. Elle avançait
dans le noir, guidée par les chemins d'étoiles. L'herbe souple absorbait le
bruit de ses pas, la longue plainte étouffait les battements de son c¦ur,
son souffle se mêlait à celui de la brise. Quand elle arriva au bord du lac,
l'aube commençait à poindre. Elle se pencha au-dessus de l'eau et ce qu'elle
vit lui arracha un cri d'horreur. Aussitôt l'eau du lac s'agita. Des vagues
énormes soulevées par un vent violent déferlèrent sur les berges. Le ciel se
couvrit de zébrures éblouissantes. Des roulements assourdissants vibraient
dans l'air.
La colère des Dieux a été si grande que l'écho nous atteint encore
aujourd'hui.
Depuis ce jour les vagues ne cessent de battre la grève de toutes les mers
du Monde, de tous les lacs, du moindre plan d'eau. Depuis ce jour les
tempêtes, les ras de marée viennent régulièrement dévaster la Terre.