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Un peu partout mais Ailleurs
03 septembre 2020 // 10515 Highway 7, Carleton Place
Aniva se lève, après une nuit réparatrice. Elle va à la cuisine et lance la machine à café qui embaume aussitôt dans toute la maison. La radio résonne dans toute l’habitation, un luxe qu’elle se permet depuis que Santon est parti, et qu’elle vit seule. Soudain un flash info la saisit : « Grande découverte dans les l’Extrêmonde du Nord. En raison du réchauffement climatique, un énorme bloc de glace s’est détaché, révélant la silhouette de ce qui pourrait ressembler à un vaisseau gigantesque, d’origine inconnue… »
Aniva bondit de son tabouret et se branche aussitôt sur son connecteur. Son collègue Pavol répond aussitôt, et sa voix trahit son excitation. Lui aussi a entendu les informations et, lui aussi, est prêt à foncer vers l’aéroport. Ils savent tous deux qu’on aura besoin de leurs connaissances et de leurs compétences pour comprendre ce dont il s’agit.
Aniva fonce dans sa chambre et remplit son sac de quelques affaires indispensables. Pavol vient la chercher et dans quelques heures, ils seront en route vers cet inconnu myrtérieux…
15 septembre 2020 // 82.69070 – 21.84655
Cela fait douze jours que l’équipe des techniciens s’activent autour du vaisseau. Centimètre après centimètres, ils ont dégagé la structure gigantesque de son linceul de glace, veillant à ne pas l’abimer. Aujourd’hui, ce sera chose faite. Pavol et Aniva, ainsi que leurs homologues venus de toutes les nations du Monde, sont impatients. Ils savent déjà que ce qu’ils vont trouver est unique dans toute l’histoire ; ils pressentent que cela va bouleverser leur connaissance du passé mais ne se doutent pas à quel point. Le soleil est très pâle dans cette région reculée, encore plus qu’ailleurs.
Ça y est. Un ingénieur leur fait signe d’approcher. Les abords ont été sécurisés, tandis que le vaisseau a été stabilisé par une armature de polycarbone souple mais ultra résistant.
Aniva et ses collègues s’avancent dans ce paysage irréel, fait de glace et de ciel. Le vaisseau se dévoile dans toute sa démesure : de forme effilée, il semble long comme un des plus hauts immeubles du Désert de Feu. Peut-être même les dépasse-t-il ? Les experts mesureurs ont déjà commencé leur approche, ils pourront dire précisément ce qu’il en est d’ici quelques jours. De leur côté, les géomondes étudient les matériaux qui ont servi à la construction du vaisseau tandis qu’Aniva et Pavlov, ainsi que Foren et Yakyl, n’attendent qu’une seule chose : pourvoir pénétrer à l’intérieur de l’engin pour en découvrir les secrets.
Pour le moment, tout le monde est d’accord sur un seul point : cet engin n’est absolument pas naturel. Il a été construit par quelqu’un ou quelque chose ; dans un lieu et un temps inconnu.
18 septembre 2020 // 1616 Rue Boyana-Sofià
Yakil est de retour dans son laboratoire. Il avait besoin de tout son matériel pour pouvoir essayer de déchiffrer les données contenues dans ce qui semblait être le cerveau numérique du mystérieux vaisseau. Lorsqu’ils avaient pu enfin pénétrer dans la structure fuselée, Aniva, Pavlov, Foren et lui-même n’avait tout d’abord rien compris à ce qu’il découvrait. Des pièces alignées les unes sur les autres et, à la disposition des couchages et des sacs de matériels, ils avaient compris qu’à l’origine, l’engin devait se tenir verticalement. Nulle trace d’occupation de, mais pouvait-il en être autrement ? Le vaisseau venait de tellement loin, que ce soit dans le temps ou dans l’espace, et il avait séjourné dans un environnement si hostile qu’il était impossible qu’une source de vie puise y subsister. Ce qui retint l’attention des explorateurs, ce fut un entrelacs de câbles et de fils, de diamètres et de longueurs variées. Tous menaient à un appareil fait de multiples écrans et de centaines de boutons de commande incompréhensibles.
Ils avaient réussi à en extraire le noyau central et maintenant, Yakil devait trouver le moyen d’en pénétrer la mémoire pour en déchiffrer le contenu.
21 septembre 2020 // 151 rue Kim Ma
Le chef du gouvernement des Mondes est abasourdi par ce qu’il vient d’entendre. Et même s’il en avait très envie, il ne pouvait nullement s’autoriser à penser à un canular car les meilleurs experts de la planète travaillaient sur le vaisseau depuis plusieurs jours déjà.
Mais ce que venait de lui raconter Foren, son plus grand spécialiste, dépassait de loin tout ce qu’on pouvait imaginer, et bouleversait la compréhension de leur existence sur la planète.
Si l’on en croyait les images montrées sur le disque source du noyau central découvert dans ce qu’ils appelaient désormais « le vaisseau spatiaire », les origines de la civilisation étaient bien plus anciens et bien plus lointain que ce que l’on pensait alors.
Tout avait commencé, quelques milliards d’années auparavant, sur une lointaine planète du système solaire, aujourd’hui disparue. Cette planète était à dominante bleue, en raison de la grande quantité d’eau qui la recouvrait. De vastes continents émergeaient, sur lesquels une population humanoïde, comme la leur, prospérait. Au fur et à mesure de leur développement, ces êtres intelligents avaient réussi à voyager de plus en plus loin, et, quand ils eurent fini d’explorer leur planète, ils s’en furent dans l’espace. Ils colonisèrent les planètes les plus proches de la leur, puis s’en éloignèrent de plus en plus pour atteindre celle qu’ils nommaient « Jupiter ». Dans un environnement très hostile, ils avaient réussi à installer une base de survie. Au fil des millénaires, cette base s’était améliorée, développée, peuplée, protégée sous une bulle invisible. Peu à peu, les liens avec la planète mère s’étaient distendus, et un jour, les êtres qui peuplaient cette planète avaient disparus, sous l’effet conjugués de leur action meurtrière et de l’inexorabilité du temps. D’autres êtres étaient apparus, et avaient à leur tour investi les terres et les océans. A ce moment-là, les Jupitériens ne pouvaient qu’observer de loin ces évolutions, se remémorant leur histoire jusqu’à ne devenir qu’un récit mythique, un conte des origines dont on ne savait plus démêler le vrai du faux.
C’est ainsi que, encore quelques millions d’années plus tard, les Jupitériens avaient assistés, tout aussi impuissants, à la mort du soleil. L’étoile s’était d’abord dilatée, pulvérisant les plus proches planètes de son système, parmi lesquelles la planète mère. Son souffle chaud et violent avait retenti jusque sur Jupiter et les habitants, terrorisés, s’étaient enfuis à bord de vaisseaux, identiques à celui qui venait d’être découvert dans les glaces de l’Extrêmonde.
Le soleil s’était ensuite rétracté, jusqu’à devenir la petite boule de lumière blanche que le chef du Gouvernement des Mondes connaissait si bien. Ainsi, il y avait eu une histoire avant l’histoire ; il y avait eu un ailleurs et un temps où ils étaient différents…
Pourquoi ce vaisseau s’était-il retrouvé dans les glaces ? Avait-il eu un problème technique au moment de s’envoler vers l’espace ? Ses occupants avaient-ils fait demi-tour après quelques années de voyage ? Ces questions étaient pour l’heure sans réponses… la seule hypothèse vraisemblable que Foren et ses collègues avaient formulés était que, pour une raison ou une autre, les voyageurs s’étaient retrouvés sur la planète Jupiter, devenue la première planète du système solaire, dans des conditions de vie moins hostiles et à laquelle ils avaient pu s’adapter. Leur présence à tous en était le témoignage.