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D'un Octobre à l'Autre
L’aide-soignante, souriante, vérifie ma température frontale d’une main tout en tenant la porte ouverte de l’autre. Masque sur le visage, pass sanitaire, gel hydroalcoolique ET température corporelle en dessous : tels sont les sésames devenus obligatoires pour pouvoir pénétrer dans la résidence pour personnes âgées.
Depuis un an…
Le vent fera craquer les branches
La brume viendra dans sa robe blanche
Y aura des feuilles partout
Couchées sur les cailloux
Octobre tiendra sa revanche.
… un an déjà que les portes se sont refermées sur ta vie d’avant. Finie la petite maison sur la colline, le chat qui se frottait dans tes jambes chaque matin pour avoir sa pâtée, l’odeur du café dans la cuisine, les paysages changeants des saisons derrière la fenêtre…
Le soleil sortira à peine
Nos corps se cacheront sous des bouts de laine
Perdue dans tes foulards
Tu croiseras le soir
Octobre endormi aux fontaines
… Fini, surtout, les réveils à deux. L’Automne est arrivé, il s’est installé, il a tout emporté. Il a fallu ensuite faire le deuil, préparer la suite, trouver un lieu pour t’accueillir, emménager dans un nouvel espace, vider la maison, confier le chat, choisir les livres, les photos, les affaires… faire comme si certaines choses comptaient moins que les autres…
Il y aura certainement,
Sur les tables en fer blanc
Quelques vases vides et qui traînent
Et des nuages pris aux antennes
Je t'offrirai des fleurs
Et des nappes en couleurs
Pour ne pas qu'Octobre nous prenne
… Heureusement, tes enfants étaient là. Ils se sont occupés de tout, à vrai dire, tu n’en étais pas capable. Hébétée, apeurée, perdue… une enfant désorientée, une poupée désarticulée… tout d’un coup, les années se sont mises à peser sur tes épaules frêles…
On ira tout en haut des collines
Regarder tout ce qu'Octobre illumine
Mes mains sur tes cheveux
Des écharpes pour deux
Devant le monde qui s'incline
… Et depuis, je te regarde t’enfoncer, disparaitre du monde petit à petit. Tu te perds dans ton histoire, dans tes souvenirs… tes repères se sont évaporés, tu ne sais pas quel jour nous sommes, tu reconnais à peine le rythme des saisons qui passent. Tu me reconnais, je le sais, mais tu ne sais plus quel est mon prénom… et moi aussi, je te perds au fil des semaines, tu n’es plus la même et j’apprends, douloureusement, à te dire au-revoir…
Certainement
Appuyés sur des bancs
Il y aura quelques hommes qui se souviennent
Et des nuages pris sur les antennes
Je t'offrirai des fleurs
Et des nappes en couleurs
Pour ne pas qu'Octobre nous prenne
… pourtant je ne louperai nos rendez-vous pour rien au monde. Dès que mon emploi du temps me le permet, je passe te voir. Je me soumets au protocole d’accueil avec bonne humeur, j’ai trop souffert des mois sans visites pour me plaindre maintenant ! Je te retrouve, seule, devant la télé, dans ton petit studio…
Et sans doute on verra apparaître
Quelques dessins sur la buée des fenêtres
Vous, vous jouerez dehors
Comme les enfants du nord
Octobre restera peut-être.
… perdue dans un monde confus où tout se mélange : le présent, le passé, le réel, les feuilletons télés, les morts et les vivants, nous n’avons plus beaucoup d’échanges… notre conversation ressemble plutôt à un monologue mi-tendre, mi-exaspérant mais qu’importe… Je n’abandonnerai pas, je ne t’abandonnerai pas à cette solitude… je me dis que, peut-être, dans un an…
Vous, vous jouerez dehors
Comme les enfants du nord
Octobre restera peut-être
et toi … dans un an… Où seras-tu ?