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Le reniement de Pierre

D 181 Quatre mensonges et une vérité.



Le reniement de Pierre



J'étais arrivé chez mes grands-parents quelques jours avant la rentrée des classes.

Au moment des adieux, ma mère m'avait embrassé en pleurant et mon père m'avait donné une tape amicale en se raclant la gorge. D'habitude je partais avec eux à l'étranger. L'année scolaire était trop importante pour moi, je devais rester en France et passer le certificat d'études. J'avais promis de lutter contre mes deux gros défauts, la paresse et la rêverie et de leur montrer, à leur retour, le prestigieux diplôme.

Quel émerveillement la campagne pour un gosse de la ville. La terre sentait bon. J'échangeais la vision d'ouvriers sortant de l'usine pour celle des paysans rentrant leurs vaches. Ce n'était plus la TSF qui me réveillait le matin, mais le chant des oiseaux. J'étais heureux entre mes grands-parents d'une douceur attentive et silencieuse. Je passais mon temps à marcher, à découvrir les livres de mon grand-père et à manger les gâteaux de ma grand-mère.

C'est justement grâce à un gâteau que je fis la connaissance de la "petite Marsillac" -une pauvre gamine qui a bien du mal à grandir - soupirait ma grand-mère.

Elle avait débarqué avec des "BIBI FRICOTIN" des "MANDRAKE LE MAGICIEN" et un pain d'épices. Une sorte de petite fée, moi qui ne possédait aucune bande dessinée, à qui je donnais huit ans et qui en avait douze.

Son dos était légèrement déformé et ses jambes en pattes d'insecte avait du mal à retenir ses chaussettes, mais la nature, en bonne fille, lui avait accordé un visage de poupée de porcelaine qui m'émouvait. Tout comme moi, elle adorait lire et même lire à haute voix en mettant le ton. Comme elle me faisait rire. Nous étions devenus amis. "Mais ils deviennent inséparables ces deux là" commentait ma grand-mère en nous servant de la limonade.



Puis vint le grand matin de la rentrée des classes. J'avais la gorge nouée. Mon grand-père m'avait présenté, la veille, à l'instituteur. Un sportif que l'on ne voyait jamais sans sa bicyclette. Un homme au regard joyeux mais qui parlait d'une voix forte et autoritaire. Immédiatement je l'avais aimé. Il ressemblait un peu à mon père. Travailler avec zèle ne serait pas compliqué.



J'allais vers l'école d'un bon pas lorsque dans mon dos j'entendis la voix aigrelette de la petite Marsillac "Attends-moi !". Elle arriva vers moi en courant et je découvris avec consternation que sa tête était pratiquement mangée par un béret de laine rouge. "Il est beau mon béret n'est-ce pas ? C'est ma mère qui l'a tricoté" et elle glissa sa main rachitique dans la mienne.

Mes doigts mollissaient. J'avais honte d'être à ses côtés. Tout de même je dis doucement "Oui, il est beau ton béret".

Il fallait absolument que je me débarrasse de la petite Marsillac avant d'arriver aux grilles de l'école. Elle me destabilisait avec son chapeau ridicule.

Pourtant les bérets cela me connait, je suis scout depuis mon plus jeune âge, mais j'ai décidé de ne plus en porter lorsqu'un jour, le crétin d'Edouard, un mauvais garçon de ma rue, violent, adepte de l'école buissonnière et des vols à l'étalage a lancé "Alors le pecnot, on cache ses oreilles sous le béret" ce qui a fait rire l'assistance et m'a irrémédiablement blessé.



"Je dois voir l'instituteur en privé, avant la classe. "Je file" et je l'ai abandonnée.

Je me suis un peu caché dans les toilettes qui sentaient l'eau de javel et l'urine. J'avais envie de vomir. C'est de là que j'ai vu l'arrivée de la petite Marsillac avec son béret rouge.

Immédiatement trois grands l'ont entourée de près et se sont moquée d'elle en lui donnant des coups de pied "Alors chaperon, tu portes ta galette sur la tête ?". A voir la façon dont elle se protégeait le visage avec son cartable, elle avait l'habitude d'être un souffre douleur.

Je me sentais tellement impuissant. Je baissais la tête. A côté de moi quelqu'un cria " C'est le nouveau ! Dis-nous tu ne serais pas un peu copain avec le chaperon rouge ?"

Lorsque j'ai très peur, je deviens bravache et les jambes tremblantes, je fais front en bombant le torse "Moi, pas du tout, je viens d'arriver". La bande des trois tortionnaires, brusquement intéressés par mon cas, arrivèrent sur moi : "Mais si, tu la connais, espèce de lâche, on vous a vu ensemble".

Je serrais les poings. Je devais absolument tenir le menton haut et crier "Je ne la connait pas ! Un point c'est tout. Si vous voulez vous battre, ne cherchez pas un prétexte, je suis votre homme". Et je parvins à avancer d'un pas vers eux. Ils reculèrent surpris par mon attitude.

La cloche sonna l'entrée en classe. Tout le monde se mit en rang. Un des garçons avaient eu le temps de saisir le béret de la petite Marsillac et de l'envoyer dans l'unique platane de la cour de récréation.

La journée de classe se passa formidablement. J'avais choisi une place devant le pupitre de l'instituteur qui me souriait de temps en temps. J'avais presque oublié l'existence de la petite Marsillac.



A la fin de la journée, j'attendis que tous les enfants soient partis et j'escaladais le platane.

"Que faites-vous ?" gronda la voix de l'instituteur" Je vais décrocher le béret de la petite Marsillac pour le lui rendre" la voix se radoucit "C'est bien Pierre, c'est bien".



Il ne pouvait se douter que j'étais seulement animé par un impérieux besoin de me faire pardonner ma cruauté.





Fin

Evelyne W