Destination : 217 , Parallèles


L’autre

Papa a brulé l’ours de mon enfance ce matin au fond du jardin avec des branches mortes. Je dois expliquer pourquoi.



Je me souviens, j’ai l’ours dans les bras et papa le prends avec un air méchant. Moi je cris en pleurant « C’est mon ours ! » Alors, maman arrache l’ours à papa et me le tends en disant doucement « Oui ma chérie, c’est ton ours ».

Elle a toujours son regard triste, fatigué.



Il y a les cauchemars, toujours les mêmes, je dors avec mon ours et la porte de ma chambre s’ouvre un peu et une petite fille entre sur la pointe des pieds. Elle tend les bras vers l’ours et elle dit dans ma tête « C’est mon ours ». Moi je cris « Non c’est à moi » et je pleure, j’ai peur qu’elle me le vole.

Maman vient me consoler, je me serre contre elle « ma petite maman rien qu’à moi ». Elle ne dit rien et me caresse longtemps la tête. Elle fait un bisou sur mon front et sur celui de l’ours et elle dit « Allons, il faut dormir à présent les enfants ».



Mes parents sont des taiseux, c’est normal la vie a été si difficile pour eux. Ils avaient une maison avec des choses et des souvenirs et puis un bombardement et plus rien. Ils sont allés au hasard, sans jamais se fixer. Je pense que ma naissance a dû les gêner. J’aimerais bien qu’ils me racontent mon arrivée dans leur vie, mais mon père dit ça fatigue ma mère et çà la rend très triste d’évoquer le passé, alors je me tais avec eux.



Un jour mon père m’a offert une merveilleuse poupée que j’avais remarquée dans une boutique. Il a dit en riant « Je te l’échange contre l’ours » Comment choisir ? j’avais le cœur serré. Ma mère a crié « Mais fiche lui la paix avec l’ours ! » je me souviens que papa a quitté la pièce précipitamment.



La petite fille des rêves qui voulait me voler mon ours est revenue régulièrement. Avec l’âge j’ai appris à avoir moins peur d’elle. J’avais un truc, dès que sa forme arrivait, je faisais toute une série de signes de croix. Une nuit je lui ai même dit « Tu veux mon ours tiens prends le ! » et j’ai jeté de toutes mes forces la peluche par terre. C’est à partir de cette nuit là qu’elle a commencé à me suivre aussi le jour, discrètement. Je sentais sa présence surtout lorsque j’étais joyeuse, pleine de désirs d’amour et d’amitié. Elle voulait me rendre triste cette peste. Elle voulait tout gâcher. Un jour j’étais très malade, j’avais tellement mal à la tête et dans tout mon corps et là voilà qui arrive. Malgré la fièvre et ma faiblesse j’ai crié « T’es contente ! Tu veux que je meure ? » Elle a disparu et maman a débarqué affolée. Moi j’ai continué « J’en ai assez de cette petite fille qui est toujours là ! » Maman a dû me prendre pour une folle car elle a fermé, avec son poing, sa bouche et elle s’est tenue quelques instants à un fauteuil comme si elle allait s’évanouir, puis elle est sortie.



Papa a brûlé l’ours de mon enfance ce matin au fond du jardin avec des branches mortes.

Avant il m’avait parlé longuement d’une voix grave.

« Cet ours était celui de ta sœur morte de maladie très jeune. Ta maman avait tant de chagrin que j’ai décidé que nous aurions très vite un autre enfant. Qu’est ce qui c’est passé dans la tête de ta mère ? Elle t’a donné son prénom, elle t’a habillée avec ses vêtements et donné ses jouets. Je n’avais pas la force de m’opposer mais je sentais bien que c’était mal. Nous te devions la vérité ma chérie ça va t’aider à guérir ».



Papa a brûlé l’ours de mon enfance et puis il m’a emmenée dans un cimetière. J’ai vu une petite tombe bien fleurie. J’étais contente c’était joli et gai l’endroit où la petite fille, ma sœur, était enterrée.

EVELYNE W