Destination : 26 , Une bouteille à la mer


Au bel indifférent (bouteille)

La vieille belle, au bel indifférent


Je vous fais une lettre

que vous ne lirez pas.

Si vous vouliez, peut-être...

Mais vous ne voudrez pas.



Si vous vouliez m'entendre,

tout ce que je vous dirais !

Mais vous n'êtes point tendre,

les aveux vous effraient



L'amour vous indiffère,

moi il me crucifie.

Votre beauté me désespère :

je suis si décatie !



Dans la rue vos yeux me frôlent

sans me voir, si transparente,

vieille - est-ce si drôle ?

vieille et désirante.



La jeunesse sur vos épaules

comme une écharpe flottante

m'enivre - est-ce si drôle ?

palpitante me hante,



hante mes nuits, mes draps glacés

comme un linceul

sur un cadavre à ressasser

mes rêves de vieille femme seule...



Seule et pourtant si ardente !

Je voudrais...non, mon coeur n'est point mort !

Vois mon désir, vois mes lèvres brûlantes :

mes lèvres expirantes frémissent encore.



Mon teint fané, ma chair flétrie, qu'importe ?

Qu'importe, dur corset de verre,

qu'importe ce corps que je supporte

comme un calvaire ?



Mon coeur brûle plus que le vôtre

en sa prison d'ennui.

Vos jours sont plus froids que mes nuits,

vous qui n'aimez personne d'autre.



Narcisse ta beauté est ton suaire,

ma laideur mon linceul :

si jeune encore tu t'indiffères !

Si vieille, hélas, je suis si seule !



Mais l'aveu expire sur mes lèvres closes,

mes désirs effeuillés, feuilles mortes,

jonchent le trottoir où s'amassent les roses

et les amours mort-nées qu'on balaie à sa porte.



Adieu jeunesse adieu,

adieu mon amour radieux ,

tu ne m'aimeras pas...

Bonsoir trépas.



J'avais fait une lettre...

Tu ne me liras pas.

Josée