Destination : 34 , Sous le soleil d'Ailleurs
Le mal de Naples
Cette année là, il gelait à pierres fendre. La montagne
ressemblait à un glacier géant, le froid régnait en
maître, investissant le moindre recoin profitant de la moindre faille
pour vous glacer les os.
Plus personne n'osait se risquer sur cette patinoire qu'était
devenue la prairie.
La brume givrante s'échevelait d'arbre en arbre en laissant au
passage une pellicule de diamant qu'un pâle soleil de midi faisait
scintiller.
Mais qui se souciait de ce décor féerique !
Bêtes et gens s'étaient rassemblés dans la grange qui leur
servait d'abris.
Des hivers rudes ils en avaient connu tous, mais celui-ci, était
un meurtrier misanthrope.
La faim aggravait un état de santé déficient. Les gelures
s'infectaient.
Les poumons, envahis par le bacille de Koch, respiraient à grande
peine.
Le mal de Naples ramené par un aïeul volage avait corrompu
leurs défenses et s'ils n'en mouraient pas tous, les séquelles
subsistaient.
Des idiots étaient nés de ces femmes contaminées par
hérédité.
Dans ces coins reculés de montagne, l'aïeul régnait en
maître absolu tant qu'il avait sa tête et assez de force
pour lever un bâton menaçant sur les récalcitrants.
Charles Magne, dit: "Le Vieux" était de ces despotes, avisés et
intransigeant sur ce qu'il pensait être son "devoir".
Pour l'heure il se devait de nourrir les siens et pour cela il
descendrait dans la vallée fut-ce au péril de sa vie.
Gontran se décida à parler au Vieux :
- Le pain va manquer. Demain, je vais aller en ville, je prendrai la
luge !
- Tu va te rompre le cou ! Tu es le seul valide en cette maison de
malheur lui dit le viel homme.
Puis il le considéra un instant comme il considérait les
bêtes de concours aux foires de villages.
Il reprit comme à regret:
- Je fus bien opposé à ton mariage avec ma Berthe parce que tu
n'avais ni bien, ni terres. Tu n'avais reçu en partage que ton
courage et ta force, c'est vrai ; mais tes aïeux sont propres ! Ce
n'est pas le cas des miens...
- Tout cela c'est du passé repris Gontran ; il nous faut
survivre.
Nous ne sommes qu'en début décembre et nos réserves sont
épuisées.
Jeannette fut surprise par le ton décisif de son mari.
Jamais jusqu'à ce jour Gontran c'était permis de prendre une
quelconque décision.
A l'aubette Jeannette se faufila hors de la grange, elle remis sa
part de pain et de fromage à son homme, le bénit et lui
recommanda la plus grande prudence.
Il l'embrassa furtivement en s'assurant qu'ils n'étaient pas
épiés.
Le baiser fut réciproque, il se posa sur leurs lèvres comme un
souffle d'enfant.
Aussi longtemps qu'elle le put Jeannette regarda s'estomper la
silhouette de ce grand gars qui depuis sa venue, avait bouleverser
ses sens en la trouvant jolie !
Quant elle se décida à rentrer, elle était gelée, les
doigts gourds elle s'approcha du vieux poêle et prépara
le café pour la tribu.
- Toi aussi tu veux la mort ! Grogna le Vieux en la voyant frissonner.
Gontran fila comme le vent sur sa luge, évitant les piéges des
précipices recouverts par les arbres et la neiges...
Le retour serait moins rapide mais il savait que Paul Leriche devait
aller encaisser ses fermages.
Paul était brave homme, il le remonterait sûrement bien
volontiers dans son traîneau !
La neige s'était accaparé la vallée.
Traînant