Destination : 136 , Conseils à un écrivain


SI J'ETAIS VOUS JE SAIS BIEN CE QUE JE FERAIS !



« Si j'étais vous, je sais bien ce que je ferais ... » Il vous disait cela en clignant l'oeil gauche et en souriant malicieusement mais si méchamment en même temps qu'on n'avait qu'une idée : s'échapper, surtout ne rien entendre. Impossible ! Il vous attrapait la manche et vous distillait dans l'oreille ses paroles réchauffées à la bêtise et à la haine.

Grâce à ses conseils fielleux, il avait désuni des couples et brisé des familles. Il avait pu s'emparer de terres et de bâtisses de veuves fragiles ou de paysans frappés par la maladie.

On le craignait plus que le diable. D'ailleurs le curé excédé par ses manigances lui avait dit bien fort du haut du perron de l'église, juste avant d'entrer pour célébrer la messe : « Père BAPTISTE vous êtes un méchant homme ! Si vous ne vous amendez pas je vous refuserai la confession et la communion ». Le père BAPTISTE avait craché et crié « Faudrait voir ça avec tout ce que je donne comme denier du culte ! »

C'était vrai, il était riche et calculait savamment sa générosité. Dans sa poigne maigre et crasseuse, il tenait aussi le maire qui lui devait sa réélection. « Si j'étais vous, monsieur le Maire, je sais bien ce que je ferais pour ces salopiots qui voudraient manger à la cantine et qui ne peuvent pas payer ... » Et les enfants avaient été exclus de la cantine.



Tout aurait pu tourner parfaitement en rond jusqu'à la fin des temps pour le Père BAPTISTE, si un beau matin de juillet une gamine délurée en short, barda sur le dos, n'avait débarqué dans le village. Elle appartenait à cette nouvelle race de jeunes qui randonnent toute une année à travers un pays, les cheveux au vent, le menton haut et travaillent à l'occasion pour continuer l'aventure. Le Café des Amis lui offrit un rôle de serveuse pour une semaine.

Que se passa t-il dans la caboche du Père BAPTISTE ? Etait-ce à cause de la jupette plissée qui tournoyait, des petits seins qui s'énervaient sous le tee-shirt moulant ? Du rire juvénile, franc qui remettait d'aplomb les âmes tristes ? Le vieil homme tomba éperdument amoureux de la serveuse.

« Si j'étais vous, je sais bien ce que je ferais, Père BAPTISTE, je me l'enlèverais de la tête, la fillette. Vous pourriez être son grand-père ». Chacun lui répétait ce bon conseil en vain. Il la voulait. Il lui proposa une vie de princesse. Elle éclata de rire en prenant à témoin tous les clients du café : « Vous n'avez rien compris Père BAPTISTE, je ne suis pas à acheter. Je me donne lorsque j'en ai envie. Et je peux vous avouer sans honte que votre vue et votre odeur me donne la nausée ! Mais je vais tout de même vous offrir quelque chose : un conseil. Si j'étais vous, Père BAPTISTE, je sais bien ce que je ferais : Je prendrais une belle corde, je l'attacherais à une des poutres du grenier de la ferme des Olivettes, celle qui vous a coûté si peu et je placerai mon cou décharné de charognard dans un splendide noeud coulant ».



Je peux vous jurer qu'on n'aurais jamais pensé qu'il suivrait le conseil.



FIN

EVELYNE W