Destination : 63 , Surprise !
daphnedulaurier @ metamorphoses .com
Cela a commencé ainsi .
Ce soir-là comme chaque soir corvée d’épluchure. elle décortique ses mails informatiques. Amas de mails amoncelés masquant d’un fard factice le vide de sa vie .
Spasmes de spams.
Vomis d’amis promis.
Putes en pub.
Viagra en gras, vallium pour hommes.
Pitié pour les pénis petits : élargissez vos pénis !
Spots pour potes, anti-despotes. Pétitionnez ! Postillonnez ! Libérez les bannis ! élargissez les punis !
Amnesty-amnésie.
Club Med-médocs : même doc. C’est grave doc ?
Xanax, ton univers impitoyââââble…
Caché sous les ordures elle ne l’avait pas vu venir.
Cela a commencé par un message énigmatique, un rien provocateur sur son ordinateur :
Tu brûles tellement
Que je t’ai désirée
Nulle signature.
Juste la brûlure.
Le désir.
Pur.
Incrédule elle relit . Se brûle à la brûlure. Au désir.
Tu brûles tellement
Que je t’ai désirée
Racine.
Dans les ordures.
Elle est intense, dans l’instant. Vibrante.
Dans un rêve elle se reprend. Fébrile :
L’adresse informatique ?
Phoebus@free
Le dieu Soleil.
Le dieu la brûle incandescent.
Désir sans visage.
Tu brûles tellement
Que je t’ai désirée
Qui est-il ? D’où la connaît-il ? L’a-t-elle vu seulement ?
Elle hésite. Longtemps. Retourne à ses épluchures. Peaux de mots. Oripeaux. Lambeaux. Fausses défroques. Bric et broc.
Vaine feinte de l’esprit.
Son cœur bat la breloque. Tension de tout le corps. Sur une corde, son corps. En équilibre. Infinitésimal.
Le doigt clique machinal sur le Soleil Phoebus.
Tu brûles tellement
Que je t’ai désirée
Fascination torpide.
Brûle le désir nu.
Qui es-tu, Phoebus inconnu ?
Oui, je brûle . Comment le sais-tu ?
Répondre à l’inconnu ?
Vertige. L’air se fige dans sa poitrine. Cœur aux lèvres. Suffoque. Tête vide. Bourdons. Sang magma.
Sauter, là, tout de suite.
Dans le soleil.
Ses doigts tapent zombies, automatiques, sous contrôle. C’est le désir qui dicte. Un clic. C’est envoyé.
Femme au soleil.
L’attente sera intolérable. Cœur cloqué de feu. Brûlée vive. Chaque seconde. Une éternité.
Soleil.
Enfin.
Eblouissement.
Son cœur éclate.
L’inconnu se met à nu.
Enfin il ôte un voile, jette un reflet.
S’il l’a déjà vue ? Jamais. Mais il la connaît mieux qu’elle-même, par ses poèmes. Ceux de l’Atelier, sur Internet. Il l’a vue brûler, il brûle avec elle. Il brûle d’elle. Veut-elle brûler, flamme à flamme, âme à âme, homme à femme ?
Oh viens brûler de ma flamme !
Elle brûle déjà, elle s’embrase, elle est brasier.
Chaque mot est tison, chaque phrase braise. Ils ont des caresses d’incendie, des rêves de fournaise. Flambe splendidement bûcher des illusions dans le feu des frissons l’amour à l’unisson, et le désir, torridement.
Chaque mail vespéral souffle comme mistral des gerbes d’étincelles.
Sans s’être jamais vus ils s’aiment, flamboyants amants, intimement.
Mais peu à peu vient l’envie de se goûter le cœur et l’âme plus charnellement:
Voir le soleil, dit-elle . Te voir, Phoebus : je le voudrais tellement !
Phoebus se dérobe, a des éclipses, inexplicablement.
Enfin, après bien des atermoiements, la rencontre est fixée, un vendredi de 5 à 7
34 rue Feydeau
Hôtel de l’Adultère
Phoebus l’y attendra, chambre 69
L’hôtel a petite mine, les murs cloqués d’humide s’écaillent lépreusement . La tôlière la jauge, guillotine d’un ton sec :
M’sieur Phoebus ?
Au 69
3e, couloir à droite
à côté des wc
Moquette pelée, lueurs verdâtres des appliques. Une tapisserie antique d’un ton beige jauni se voudrait bucolique : Diane au bois prenant son bain parmi des cerfs et des Sylvains.
Cœur battant elle s’engage dans l’allée obscure encombrée de verdures en pots anémiques.
Au 69.
C’est là.
Il est là, derrière la porte.
Phoebus .
L’homme Soleil qui l’émerveille.
La porte s’ouvre sur un bonhomme bedonnant à courte barbiche, jambes courtes, sourire crispé. Mains en avant, bave lubrique il la bouscule vers le lit.
S’enfuir oui mais comment ?…
Etre venue pour rien ?…
Phoebus devient satyre et dans les bras de son Apollon Daphné se fait de bois, inerte comme une souche, tandis qu’il cueille ses lauriers.