Destination : 63 , Surprise !
un week-end au calme
Julia avait décidé de passer le week-end à la campagne. La semaine avait été électrique, entre un gros dossier à boucler et une dispute au sommet avec son fiancé. Sa grand-mère passant l’hiver au soleil, elle pouvait disposer de la maison comme bon lui semblait, et elle n’était qu’à deux heures de Paris. Il n’y avait pas de voisins à moins de cinq kilomètres à la ronde et la vaste bâtisse n’apparaissait qu’au détour d’un chemin de terre presque caché, qui serpentait plus loin vers la forêt dense et obscure. Lorsque la maison était inhabitée pendant une certaine période, la porte d’entrée était verrouillée de l’intérieur. Il lui fallut passer par le sous-sol pour ne pas déclencher l’alarme, puis franchir deux portes codées avant de se retrouver derrière la bibliothèque, faire glisser le panneau et déboucher sur le salon. Les passages secrets de la maison l’avaient toujours amusée, elle se souvenait des nombreuses parties de cache-cache avec sa sœur et leurs cousins.
La lune essayait de se glisser par dessous les volets clôts et une faible lueur éclairait le boudoir. Sans allumer, elle traversa les pièces, en connaissant chaque recoin, chaque guéridon, chaque fauteuil, chaque tapis. Puis elle appuya sur l’interrupteur et la lumière éclaboussa la cuisine. Elle reconnut d’abord les mosaïques bleues et les casseroles de cuivre étincelant, puis la grande table en bois et les étagères garnies de mini-rideaux turquoise où s’alignaient des dizaines de pots de toutes sortes. Elle posa son sac et entreprit de chauffer de l’eau pour se préparer du thé, et, pendant que la bouilloire chauffait, elle alla brancher l’alarme du rez-de-chaussée. Elle savait exactement où poser le pied sans la déclencher : la cuisine n’était pas sous alarme et si l’on s’y prenait bien, on atteignait la première marche de l’escalier sans que la sirène ne retentisse. Elle vérifia sur son portable qu’elle avait bien gardé le code qu’il fallait communiquer à la police si par mégarde l’alarme se mettait en route. Puis, son petit sac de voyage dans une main et la tasse de thé dans l’autre, elle éteignit la lumière de son épaule et monta l’escalier dans le noir. Elle entra dans sa chambre préférée et referma la porte derrière elle en tirant le verrou. Une heure après elle dormait. Deux heures plus tard, elle sursauta. Il y avait du bruit en bas. Un glissement. Le panneau de la bibliothèque. Elle fouilla dans son sac à la recherche de son téléphone portable mais il n’y était pas. Quelle idiote, elle l’avait laissé sur la table de la cuisine avec ses clés de voiture. Elle frissonna. Si c’était un cambrioleur, l’alarme se serait déclenchée. Si c’était le panneau, c’est que la personne qui l’a déplacé connaît les lieux. Et seules quatre personnes ont les clés et les codes. Sa tante Gilberte, sœur jumelle de sa grand-mère, qui habite le village à côté. Mais elle ne viendrait jamais comme ça, la nuit, elle a toujours eu peur de cette maison et elle n’a jamais voulu s’y installer avec Mamie à leur retraite. Mamie a sans doute gardé ses clés, mais elle est aux Antilles.Ne reste que Linda. Mais que viendrait faire sa sœur ici, au milieu de la nuit ? Et Linda ne se déplace jamais sans son mari et ses quatre enfants, des garçons adorables mais tapageurs et bruyants, on les entendrait déjà crier et courir dans toute la maison. Paniquée, Julia ramena ses genoux sous le menton et fixa en tremblant la porte verrouillée de sa chambre. Quelqu’un montait l’escalier ! Julia trembla de tout son corps. Ce quelqu’un se tenait derrière sa porte… Et après une minute qui lui parut interminable, on frappa tout doucement. Tétanisée, Julia retint son souffle, et au moment où elle allait s’évanouir, une voix douce s’éleva derrière la porte.
- Julia, tu es là ?
C’était la voix de sa sœur.
Elle se leva d’un bond, ouvrit la porte et tomba dans ses bras.
- Tu m’as flanqué une sacrée frousse, mais que fais-tu ici ?
- Je suis venue passer le week-end, Georges est en voyage et j’ai laissé les enfants dormir chez tante Gilberte au bourg, j’irai les chercher demain matin, on va bien s’amuser non ?
Julia était si soulagée qu’elle ne trouva rien à répondre. Mais son week-end au calme était fichu.