Destination : 90 , Auberge espagnole


Le corps tragique*


On flatte souvent le corps des gens que l'on aime
Ou de ceux qu'on envie, ou celui de nous-même

J'ai vu dans mes voyages, de bien tristes corps
Des êtres qui n'ont d'hommes que le nom et encore
Il faut voir pour le croire, cela semble impossible
A chaque carrefour de ces villes-bidonvilles
Convergent les miséreux - c'est mieux que d'où ils viennent -
Pour quelques sous, un presque rien, la vie demain

Ils sont là dès qu'on s'arrête et toquent à la fenêtre
Certains au ras du sol traînant leurs jambes mortes
L'horreur à quatre pattes, la polio fait ravage
D'autres sur deux béquilles datant d'un autre âge
Une jambe coupée, l'autre estropiée
Et celui-ci fonçant sur un fauteuil improvisé

Ils offrent à nos yeux des images cruelles,
Aux pieds de ces panneaux qui vantent des merveilles
Mais ils ne les voient pas, leurs yeux à jamais éteints
Mais ils ne les voient pas, se moquent de demain
Ne craignez rien de leurs mains rongées de misère
Vous n'avez rien à craindre de ces pauvres hères

Leur visage sourit, leur bouche remercie
Des mots intraduisibles vous offrent le messie

Puis ils s'enfoncent sous la couverture de la nuit,
Un petit coin de terre, sur un bout de trottoir
En guise de pudeur, un tissu gris d'ennui
Dissimule leur corps, fait écran au regard.

Pour eux pas d'hôpital, pas de soins paliatifs
Ni maison, aucun toit, la rue est leur mouroir

Comment oser se plaindre quand on voit telle chose
Derrière vos murs de verre, frêles silhouettes moroses
Les monstres des temps modernes ne sont pas ceux qu'on croit
La planète tourne, la chance aussi parfois

*titre emprunté à Jules Supervielle

©Mireille le 20 juillet 2007

mireille