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La Cité des Ecritures
Depuis que le monde s’était disloqué, depuis que le Virus avait décimé la moitié de l’humanité et réduit les autres au silence, l’écriture était devenue le mode de communication unique et universel. Le Grand Mutisme qui frappait le monde ne permettait plus d’accéder à l’oralité : ni de la produire, ni de la percevoir. Mais ne croyez pas que les Hommes avaient perdu la parole, non, loin de là ! Dès que les chefs d’Etats et gouvernements encore vivant eurent pris conscience de la situation, une assemblée avait été constituée pour pallier à cette déficience. Les plus grands chercheurs, linguistes, ethnologues, sociologues, traducteurs s’étaient réunis. Le conciliabule avait duré près de trois mois. Une nouvelle langue avait été inventée, une langue faite seulement de signes et symboles graphiques. Cette langue était la même sur toute la planète, fabriquée de mots issus des langues ancienne les plus communes.
La division des peuples de l’ancien temps avait permis l’émergence du Virus mortel et surtout, avait retardé sa prise en considération mondiale et la juste évaluation de sa dangerosité et des moyens de l’éradiquer. Le temps perdu en réunions, concertations, relations diplomatiques, hésitations, retours en arrière avait donné au Virus toute latitude pour se répandre. Et quand les solutions avaient été trouvées et mises en place, il était déjà trop tard. Certes, le Virus fut détruit en quelques semaines mais les dégâts occasionnés étaient irréversibles. Les rescapés en tirèrent la leçon : désormais, il n’y aurait qu’une seule langue, qu’un seul mode de communication entre les humains, partout sur la planète.
Suite à cela, un nouveau monde avait émergé, organisé autour d’une mégapole capitale internationale : Scriptopolis. Elle était le siège du parlement inter-gouvernemental mais aussi du Ministère Mondial des Communications. C’était par lui que devaient transiter toutes les écritures : les tickets de caisse du supermarché, la liste de noël, le compte-rendu de réunion, la déclaration d’amour, les cartes postales de vacances, la liste des courses, les poèmes, les discours politiques, les articles de presse, les textes de chanson, les scripts de films, les affiches publicitaires, le prénom de son futur enfant, les marques commerciales, les notices d’utilisation, les règlements intérieurs. Seules les écritures de moins de 50 signes pouvaient échapper à ce contrôle obligatoire. Il était ainsi possible de laisser un mot sur son frigo « J’ai une réunion, je rentre tard ce soir » ou « Chéri, pense à acheter du pain et du fromage ». Ceci dans un but évident de faciliter la vie quotidienne de chacun mais aussi de ne pas submerger le central du Ministère par des broutilles. Mais attention : leur nombre était limité par jour et par habitant et un contrôle pouvait avoir lieu à n’importe quel moment. S’il s’avérait que vous aviez abusé de ces micros-écritures, vous étiez soumis à une amende. 45 scriptos pour un dépassement inférieur à 30 micros écritures, 9O au-dessus.
Ce monde se voulait un havre de sécurité pour chacun, il était en réalité une prison dans laquelle les relations humaines se compliquaient lourdement. Chacun se souvenait de l’ancien temps, quand l’écriture permettait d’imaginer, de rêver, de se dévoiler, de défendre ses idées, de garder ou partager des secrets. Ce temps merveilleux où écrire n’était pas juste un moyen de communiquer…