Destination : 7 , Objet banal mais capital.
Le foulard de la commode Louis XVI
Montre de plongée - journal - pendule - patinette - enveloppe - livre de cuisine - armoire à pharmacie - cric - lampe-torche - trousse de toilette - disquette - photo - presse-papiers - tampon-buvard - porte-manteau perroquet - trousseau de clés
Le foulard de la commode Louis XVI
Je vis au fond d'un tiroir d'une commode Louis XVI et j'apprends que le foulard de Louis XVI vient de se vendre, aujourd'hui 21 janvier 2004, jour anniversaire de la mort du roi, à Loches au prix de 70 000 euros. Je ne vaux pas autant mais ne souhaiterais nullement le sort de mon congénère qui a ceint le cou d'un condamné à mort.
Enfin, quand je dis que je n'en vaux pas autant, c'est que ceux auxquels j'ai appartenu étaient suffisamment obscurs pour qu'on m'ignorât dans ma sombre demeure et pourtant assez attachés pour qu'ils n'aient souhaité se défaire de moi. Le souvenir de ma gloire s'estompe avec le temps et je vieillis, un peu oublié dans mon coin. Ma soie vert d'eau est éraillée par endroits, ses motifs sont démodés et je n'exhale plus aucun parfum. C'est qu'il faut vous dire que, dans cette famille, j'ai vu défiler trois générations et la petite fille qui a hérité des reliques de sa grand-mère ne les aère pas tous les jours. Il arrive qu'elle me froisse entre ses doigts d'un air rêveur, me repose et je me mets à attendre désespérément l'instant où elle reproduira ce geste.
Sa mère me contempla en pleurant doucement quelques jours après le décès de sa propre mère et me rangea dans une boîte en carton. J'y trouvais des compagnons qui me posèrent beaucoup de questions sur mon origine et mes aventures. De temps à autre, notre propriétaire nous observait et faisait son choix. J'eus souvent l'honneur d'accompagner et d'égayer un manteau, un sac et des chaussures marron.
Qu'ai-je répondu à l'écharpe Burberrys et au foulard Hermès qui me questionnaient sur ma vie antérieure ? Je vais vous le confier, cette fois dans l'ordre chronologique afin que vous ne vous y perdiez pas.
Une maman aimante m'avait acquis chez Brummell, au Printemps de Paris pour m'offrir en cadeau d'anniversaire à son fils. Il en fut ravi, me porta pour se rendre au lycée, au cinéma, au stade. Un jour, il partit en camp de vacances dans les Alpes et je fus saisi par l'air vif d'un printemps encore enneigé. C'est alors qu'une chevelure brune vint souvent se poser tendrement contre moi. Ce contact féminin me fut très agréable.
Lorsque le séjour tendit vers sa fin, des serments furent échangés auquel je ne pus m'empêcher d'assister, mais aussi des gages d'amour. Voilà, ce que je devins, un gage d'amour donné à l'aimée en souvenir de deux semaines d'idylle alors qu'elle offrait à celui auquel j'avais appartenu son bracelet. J'étais un peu peiné d'avoir à le quitter mais j'allais sans aucun doute le revoir, ils étaient si épris.
A peine rentré de voyage, je passais mes nuits près de l'oreiller de la belle, elle m'embrassait, me respirait. Jamais, je n'avais été tant choyé. Un peu plus tard, elle me mouilla de tant de larmes que j'en fus tout refroidi. Elle m'oublia quelque temps et je demeurais accroché à une patère. Le temps passa, ses pleurs séchèrent, le souvenir se fit doux et elle me nouait de temps à autre autour de son cou et ce même lorsqu'elle allait à des rendez-vous d'amour. Je n'assistais pas hélas à son mariage mais je fis partie de ses bagages lorsqu'elle se rendit à la maternité et j'ornais sa mise à la sortie.
Puis, elle n'osa plus me porter, un jour que son mari lui fit le reproche de ne pas suivre la mode. Elle me relégua dans un vieux sac à main qui subissait le même sort que moi. Mais régulièrement, elle venait me caresser et me respirer, espérant retrouver l'odeur de ses premières amours. Elle le fit jusqu'à sa mort et je la regrette encore.