Destination : 18 , Détournements majeurs.
Cendrillon
On ne sait pas d'où elle vient.
La nuit elle erre dans les rues à la conquête des poubelles.
Le jour, elle se loue en ménage les rares fois où l'on veut d'elle car
habillée comme elle est, négligeante de sa toilette,
elle n'inspire pas confiance.
Nouvelle dans ce quartier et ne me fiant pas beaucoup aux apparences,
je l'ai appelée ce jour-là du haut de la fenêtre de mon sixième étage
pour qu'elle m'aide à déballer les cartons qui s'entassaient dans
l'entrée.
Quelle ne fut ma surprise de découvrir une très belle jeune fille en
cette vagabonde que tout le monde fuyait.
Ma surprise fut plus grande quand, lui demandant son nom, elle me
répondit : Cendrillon.
-Cendrillon comme dans le conte?
-Non, Cendrillon du conte.
-vous voulez me faire croire que vous avez survécu tout ce temps?
-En fait mon histoire ne s'est pas arrétée le jour où le prince me fit
sa femme.
-Vous m'intriguez.
-Moi-même , je ne comprends rien à ce qui m'arrive.
Je l'ai invitée à s'asseoir pour qu'elle m'éclaire.
-Et les cartons?
-Ce n'est pas important. Racontez!
-Les chaussures que j'ai portées ce soir-là, ne m'ont pas porté chance.
Le prince était un enfant gâté et ne supportait pas les contrariétés.
Quand le lendemain, j'ai voulu rendre visite à mes belles-soeurs que
j'aimais malgré tout, il m'a enfermée dans la plus haute tour du
château et.......m'a oubliée.
Quand je me suis réveillée, je me suis trouvée habillée comme chez ma
belle-mère, moi qui croyais avoir dit adieu à la misère.
Je n'ai pas eu à déjouer l'attention de mes geôliers: il n'y avait
personne ni devant la porte de ma cellule ni dans aucun étage du
château. J'étais seule dans cette grande bâtisse qui tombait en ruine.
Plus rien ne subsistait du faste d'autrefois, comme si un cyclone était
passé par là.
Je ne comprenais pas: où sont passés le prince et tous ses gens? Tous
les meubles, toutes les tentures?
Je ne me suis pas attardée longtemps en ce lieu lugubre.
Le jardin était une immense forêt, il n'y avait plus de cour, tout a
été envahi par une végétation luxuriante.
Quand je suis arrivée à sortir de cette jungle, je me suis retrouvée
sur une route, si différente de ce que j'avais l'habitude de voir: un
grand lacet bitumé remplaçait le chemin de terre battue .
J'avais peine à me retrouver dans ce nouvel environnement, j'ai marché
au hasard après avoir essayé en vain de m'orienter , il n'y avait ni
village ni habitants.
Personne ne semblait emprunter cette route.
Je me demandais à plusieurs reprises si je ne rêvais pas.
Tout d'un coup, une sorte de bolide, se fit voir et entendre au loin:
un camion surgi du néant.
Il s'arréta à ma hauteur.
Le chauffeur, sans prendre la peine de descendre, m'ouvrit la portière
et d'un geste me demanda de monter.
J'ai hésité, rien n'était normal en cette journée: cette maison
ambulante, cet homme accoutré d'une drôle de manière m'abordant comme
s'il me connaissait.
Quand je suis enfin arrivée à grimper dans son camion, l'homme
m'accueillit familièrement , il était euphorique, ivre peut-être car il
ne cessait de me caresser les jambes, il me parlait d'une voix
doucereuse, m' appellant de prénoms que je ne connaissais pas, il ne
m'a pas demandé le mien et j'étais trop intimidée pour le lui dire. Il
m'a demandé de me rapprocher de lui, je le fis.
Il n'arrétait pas de m'embrasser sur le cou, sur la bouche. Je n'en
revenais pas: je lui ai manqué à ce point? Pourtant je ne le
connaissais pas mais j'ai mis cela sur le compte de l'oubli, du temps
passé à dormir: c'était peut-être un oncle lointain .
Soudain, il arréta le camion.
-Nous sommes arrivés ma belle! Je te présente ma maison.
il me fit descendre , ouvrit la porte d'une baraque et me fit entrer.
Quand il commença à se déshabiller devant moi, je pris peur, j'ai crié
puis j'ai reculé jusqu'à la porte voulant m'enfuir.
Il me rattrappa, me jeta sur le lit puis continua son manège.
Je ne pus supporter le voir ainsi , j'ai couru de nouveau cherchant à
fuir, j'avais une longueur d'avance sur lui, j'ai réussi à sortir.
J'ai mis du temps pour comprendre qu'il devait s'habiller avant de me
rejoindre, j'ai profité de cet avantage.
J'ai quitté la route et couru à travers champs, je ne me suis arrétée
que quand la nuit s'est faite bien noire. Epuisée par la course, je me
suis étendue à même la terre.
Toutes les émotions de la journée ne m'ont pas empêchée de dormir.
Quand il fit jour, j'étais de nouveau dépaysée, seule dans ce grand
champ d'oliviers.
Je repris petit à petit mes esprits: je vivais quelque chose d'étrange
et de désagréable: j'étais à coup sûr comme ces hommes
des cavernes qui ont dormi des siècles puis se sont retrouvés dans un
monde qui leur était étranger.
Je n'avais d'autre alternative que de vivre. Vivre et marcher à couvert
jusqu'à trouver quelqu'un de charitable qui me donnerait à manger, à
boire.
Ainsi toute ma vie n'aura été que succession de malheurs.
Ce n'est qu'à la nuit tombante que je suis arrivée dans cette ville où
personne n'a voulu de moi.
On m'a fui comme on fuit un fantôme.
Pourtant, il s'est trouvé un jour une vieille boulangère qui, me voyant
inoffensive, loin d'être une folle ou une criminelle enfuie d'une
prison me proposa sa mansarde et du travail.
Elle avait deux filles, noiraudes et désagréables.
Quand leur mère me présenta à elles, elles ne daignèrent pas me tendre
la main.
Recommença pour moi le calvaire d'antan: ménage, coups, brimations,
privations.
La nuit, dans ma mansarde, j'échaffaudais mille projets d'avenir
meilleur, de fuite.
Mais je n'étais pas prisonnière, je pouvais partir
à tout moment.
Restait à savoir si je pouvais supporter la vie d'errance.
Je ne pus vivre longtemps cet esclavage même s'il m'avait assuré le
gîte et la nourriture.
Un matin, très tôt, j'ai remis mes vieilles affaires et je suis partie
sans faire de bruit.
Voilà toute mon histoire, il ne manque que le prince charmant mais je
doute de le trouver un jour et encore moins chez vous.
D'un soupir, je lui ai dit :
-Qu'est-ce que vous en savez?
Je pensais à mon frère endormi dans sa chambre et s'il se réveillait,
et si cette fille très belle lui faisait tourner la tête?
Sans le vouloir, j'ai reconstitué dans ma tête l'histoire d'une
Cendrillon des temps présents.