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Destination : 80 , Monstres !
L'as-tu-vu ?
Personne ne l’avait jamais vraiment rencontré, mais tous connaissaient quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui avait déjà croisé son chemin.
Et toutes ces sources à la fiabilité incontestable s’accordaient sur un point : il était terrifiant. A vrai dire, c’était le seul point de concordance qui émergeait du fatras des rumeurs qui courraient à son propos.
Il (et encore, certains se demandaient s’il ne fallait pas plutôt dire « elle » mais, dans le doute, nous garderons l’utilisation du « il ») était né une cinquantaine d’année auparavant, la date exacte n’était pas connue mais les premières traces de ses exploits avaient été recensées par les enfants de l’époque, c’est-à-dire les grands-parents d’aujourd’hui.
Comment il était arrivé chez nous ? Nul ne le savait vraiment mais plusieurs histoires circulaient. Certains disaient que sa mère était une pauvresse perdue dans une cabane au fond des bois, que son père avait foutu le camp bien avant sa naissance, pour ne plus jamais reparaitre dans le village et qu’il avait passé là ses premières années, ne fréquentant personne si ce n’est les animaux de la forêt qui le considéraient comme un des leurs. Jusqu’à ce que sa mère disparaisse et qu’il se retrouve seul.
Pour d’autres, tout ceci n’était qu’une fable : il avait été tout simplement abandonné par des vagabonds dans les bois alors qu’il était tout petit et avait survécu comme un enfant sauvage pendant les années suivantes, ce qui lui donnait cet silhouette ni humaine, ni animale.
Quoi qu’il en soit, un jour, il avait commencé de s’approcher des maisons et des fermes isolées, peut-être pour chercher de la nourriture, peut-être de la compagnie ? Mais l’accueil n’avait pas été chaleureux : effrayés par son aspect hirsute, les femmes et les enfants s’enfuyaient en courant ; incommodés par son odeur sauvage, les chiens le pourchassaient en montrant les dents ; horrifiés par ses cris gutturaux et inintelligibles, les hommes lui lançaient des pierres quand ce n’était pas une fourche ou un bâton qui s’abattait sur sa tête.
Face aux descriptions infernales de ses paroissiens, le curé avait tenté un exorcisme mais, devant la croix et les jets d’eau bénite, la créature avait pris ses jambes à son cou sans qu’on puisse affirmer avec certitude que ce ne soit pas dû à la vision du curé aux yeux exorbités scandant ses imprécations latines avec une voix suraigüe (mon père m’a avoué avoir fait des cauchemars à ce sujet pendant toute son enfance) plus qu’à une réelle possession démoniaque.
Face à cette menace sérieuse qui mettait à mal la sérénité de ses administrés, le maire, qui était par ailleurs un trouillard de la meilleure espèce, avait appelé messieurs les gendarmes qui étaient arrivés un matin dans leur estafette. Ils avaient fait le tour du bois, tiré quelques balles en direction des buissons chaque fois qu’un bruit ou un mouvement leur paraissait suspect (effleurant au passage le derrière du Germain qui était en train de conter fleurette à la Jeannette, tout ceci bien évidemment dans le dos de leurs époux respectifs). Puis, une fois leur mission accomplie, les gendarmes étaient revenus au village et, après quelques pastis bien tassés, repartis à la caserne, l’estafette zigzaguant langoureusement sur la départementale…
On ne sut pas ce qui avait été le plus efficace, mais pendant quelque temps, plus personne n’en entendit parler. Il se passa une quinzaine d’années, les enfants grandirent, les hommes et les femmes vieillirent, les anciens moururent. Le curé partit et ne fut pas remplacé ; le maire battu aux élections suivantes par son fidèle premier adjoint qui lui avait savamment savonné la planche ; les gendarmes reçurent l’interdiction de boire de l’alcool pendant le service, même du pastis !
Bref. Les temps changeaient et on avait presque oublié l’existence de cet être étrange. Jusqu’à ce qu’un jour, et là, deux écoles s’affrontent : ceux qui disent que c’était le début de l’automne et ceux qui affirment qu’on était déjà à la Toussaint, même s’il faisait extraordinairement doux pour la saison. Enfin donc, un beau jour, la petite Fanny de la ferme des Landes est rentrée de l’école en courant et en hurlant qu’elle avait été poursuivie par un monstre ébouriffé et grognant. Il n’en fallu pas plus pour que remonte l’histoire de la créature.
Les parents décidèrent que plus aucun enfant n’irait à l’école tout seul, ni ne jouerait dans la rue sans la présence d’un adulte. Bientôt, on rapporta d’étranges incidents : des chiens qui hurlaient sans raison, des vêtements féminins qui disparaissaient des cordes à linge où ils étaient étendus, des potagers piétinés et bien d’autres choses encore.
La société de chasse décida de faire une battue, invitant pour l’occasion les sociétés des villages voisins, enterrant exceptionnellement et pour cette fois seulement, la hache de guerre entre les communes. Mais, il fallait bien cela pour traquer la bête !
La chasse dura toute une semaine. Les hommes et les chiens inspectèrent les bois, les champs, les vignes, les prés, les ruisseaux de toute la commune… sans jamais rien trouver.
L’hiver passa, chacun resta prudemment chez soi bien au chaud. Le printemps revint sans que nulle autre apparition n’ait été évoquée. La petite Fanny avait-elle rêvé ou menti ? (Après tout, sa mère était, de notoriété publique, une fieffée coquine à la langue bien pendue…).
Les gens du village commencèrent à ressortir de chez eux, et la vie reprit son cours normal. Les semaines, les mois, les années passèrent : toujours rien. Plus jamais la bête ne fit parler d’elle, elle semblait s’être évanouie dans les brumes de l’automne et les souvenirs des villageois qui peu à peu, pour la deuxième fois, l’oublièrent.
Jusqu’à ce que, la semaine dernière, la vieille Marie…