Destination : 13 , Polyglottes
Gemütlichkeit
Gemütlichkeit : un mot à aimer.
A peine met-on le pied sur le sol germanique que l'on se trouve confronté à ce mot, par exemple dans l'hymne des buveurs : « Ein Prosit der Gemütlichkeit » ( Buvons à la Gemütlichkeit !) qui retentit dans la plupart des fêtes. Un mot qui ne m'avait pas été enseigné en cours et qui garda longtemps son mystère en dépit de toutes les tentatives d'explications que je suscitais. Seuls, les germanophones avertis peuvent prononcer ce mot ; seuls, les germanophiles confirmés le comprennent, mais ne leur demandez pas de vous le traduire ou bien sinon, attendez-vous à ce qu'ils monopolisent la conversation pendant de longues minutes au bout desquelles vous resterez sur votre faim.
Toutefois, c'est bien ce que j'ai l'intention de faire ici. Etes-vous prêts tout d'abord pour un petit cours de grammaire ? Je vous vois faire la grimace. Allez, soyez patients. « Gemüt » est un substantif que l'on traduit par âme, cour, nature, caractère (bien que chacun de ces mots ait déjà leur propre traduction dans la langue de Goethe) ; « lich » est le suffixe qui en fait un adjectif, qui a de l'âme, du cour, une nature, un caractère ; enfin, « keit » est le suffixe qui en fait un nouveau nom, le nom de la qualité correspondante. Que de charabia pour un seul mot ! D'autant que vous ne savez toujours pas à quoi correspond la fameuse Gemütlichkeit allemande.
Gemütlichkeit, c'est un coin de banquettes en bois couvertes de coussins rouges et verts dans la cuisine où se prennent les repas de la famille le soir, une longue tablée de gens qui se connaissent à peine et boivent ensemble une chope de bière en riant dans une brasserie, un « Café » où vous accueille un comptoir rempli de gâteaux alléchants, où la moquette étouffe les bruits de pas, où les murs sont décorés de reproductions anciennes, où la part que l'on vous sert est le double de celle que vous auriez obtenue dans votre propre pays.
C'est se donner rendez-vous autour d'une petite table ronde au marché, où, debout, l'on déguste une soupe chaude ou des saucisses grillées ou la galette de pommes de terres. C'est encore, un soir de la Saint-Sylvestre, en guise d'apéritif, partir dans la forêt, tirer les luges chargées dans les allées blanches à la lueur de la lune jusqu'à une clairière, les installer en rond et faire un feu dans le milieu, manger des grillades, boire du vin chaud, rire et chanter, ou bien encore, au point du jour, attendre patiemment, en silence le lever du soleil avec un galant, sur le flanc d'une montagne noire de sapins.
Ce n'est que cela, me direz-vous. Non, c'est bien d'autres choses encore, comme un fauteuil moelleux, un sapin de Noël décoré d'objets en matières entièrement naturelles et des enfants qui jouent de la musique ensemble ou un ami qui vous serre dans ses bras quand il vous revoit...
A dire vrai c'est peut-être un mot fourre-tout, mais pour moi, c'est l'Allemagne dans tout ce qu'elle a d'accueillant et de chaleureux. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien que la plus célèbre chanson à boire de ce pays porte un toast à la Gemütlichkeit ! Tout un pays contenu dans un mot intraduisible ! Il y a des mots qu'il ne suffit pas de prononcer, il faut les sentir au plus profond de soi, les aimer, pour les comprendre et en transmettre la beauté. Gemütlichkeit, c'est un mot qui résume toute l'histoire de ma rencontre amoureuse avec ce pays, il y a bientôt cinquante ans, à une époque où il n'attirait de la part de tant d'autres que de la haine.