Destination : 149 , Le retour


Dernier retour, nouveau départ...

Mon dernier jour de travail vient de s’achever, mon dernier jour de classe.

Il y a une minute, j’ai rendu le dernier élève à sa famille. Pas d’adieux déchirants, juste un au revoir, comme les autres soirs.

Comme si on allait se revoir demain, après le week-end ou après les vacances.

Je fais un dernier tour : je contourne les petites tables, les petites chaises. J’ouvre les portes des placards, je jette un coup d’œil dans les casiers de rangement.

Tout est sa place, je n’ai rien oublié.

En fait, rien ici ne m’appartient.

Je rentre chez moi en emmenant un cartable dans lequel voisinent une trousse et un agenda. Classeurs de préparation, cahier journal, livres pédagogiques, j’ai tout donné à des collègues plus jeunes et détruit ce dont elles ne voulaient pas. Ce sont des bagages inutiles pour la nouvelle vie qui m’attend.

Dans un petit carton, j’ai rangé les albums que j’avais l’habitude de raconter aux enfants, ceux-là je les avais acheté avec mes deniers personnels. Dame Education Nationale n’est pas riche et dès le début de sa carrière, on comprend vite que si on veut du bon matériel, il vaut mieux l’acquérir par soi-même.

Ma classe… Pourquoi ce possessif ? Je ne suis propriétaire ni des murs, ni des meubles, ni des élèves qui la composaient.

Mais j’ai été la locataire de cet endroit pendant plus de trente-cinq ans, et comme un appartement qu’on occupe de longues années, je l’ai arrangé à mon goût et surtout mon usage afin qu’il corresponde le mieux possible à ma façon d’enseigner et au bien être des élèves.

La peinture sur les murs, la couleur du sol, l’isolation phonique au plafond, les doubles vitrages, les rideaux, le mobilier adapté à la taille de mes élèves, le matériel informatique, j’ai obtenu qu’ils soient installés, de haute lutte, quelquefois. Cela m’a pris des années, toute ma carrière en fait.

Mon cartable dans une main, mon carton sous le bras, je ferme la porte de la classe, ma classe.

Je marche lentement dans les couloirs vides où il règne l’odeur si particulière aux écoles maternelles.

Je suis seule. Dès seize heures trente, mes collègues sont parties, pressées de profiter de leurs vacances. Nous avions fêté dignement mon départ, deux jours auparavant.

Au passage, je dépose, sur le bureau de la directrice, la clé de l’école qui n’avait jamais quitté mon trousseau depuis trente-cinq ans.

Brutalement, c’est un déchirement, la prise de conscience que désormais, il n’y aura plus de retour possible.

En Septembre, pour la première fois depuis que j’ai l’âge de trois ans, je ne ferai pas de rentrée scolaire.

Pour la dernière fois, je rentre chez moi, après la classe.

« La cloche a sonné, ça signifie, la rue est à nous, que la joie vienne, mais oui, mais oui… L’école est finie !... »

… Et pour moi, un nouvel âge commence, celui de la retraite.

mamido