Destination : 85 , Itinéraire assassin


la vengeance

7h30.
Le grand jour.
Je m’étire, étonnée d’avoir dormi d’un si profond sommeil. Pas de cauchemar. Aucune angoisse. Je regarde mes mains, elles ne tremblent pas. Je suis donc prête.
Je me lève, déjeune et m’habille. C’est une belle journée d’octobre. A l’arrêt de bus, les passants sont sereins. Personne ne semble se soucier de moi. Chacun vaque à ses occupations. Personne ne se doute que je vais tuer un homme aujourd’hui et que demain tout le monde retournera travailler comme si de rien n’était. Moi aussi d’ailleurs. Cette pensée me fait sourire. Je n’ai pas peur.
Je monte dans la ligne 7, direction hôtel de ville. Je m’assois au fond du bus et regarde défiler les rues. Je les connais par cœur : le fleuriste, la boulangerie, la petite maison jaune, plus loin la poste… je descends devant le kiosque à journaux. Je n’ai que la rue principale à traverser et me voici devant le N°9 de l’avenue St François et sa grande porte verte en bois. Je l’ai si souvent, trop souvent franchi avec mon cartable dans le dos, mes partitions à la main et toujours la même boule au fond du ventre.
Je monte au 1er, comme autrefois, glissant mes doigts sur la rampe vernis. C’est la même odeur. Ca sent le pin et la rose séchée, senteur écœurante de pot pourri bon marché. La porte d’entrée me nargue alors mais elle me parait tellement moins grande que je ne peux m’empêcher de lui sourire. J’appuie sur la poignée. C’est ouvert. C’est toujours ouvert. Je pénètre dans le hall et reviennent alors en moi des souvenirs comme des flashs douloureux : mon ciré sur le porte manteau. Le piano froid. Sa main sur mon épaule et son souffle dans mon cou. Son haleine de tabac. Et toujours ce couloir à la fin du cours. Cette chambre sentant la naphtaline. Ce dessus de lit hideux et rugueux. Et son regard brulant de désir sur mon corps de dix ans.
J’essuie une larme et écoute. Il est dans la cuisine. Je tourne à droite et le vois enfin. Il est de dos et fait la vaisselle. Il a vieilli. Il a pris des cheveux blancs et son corps semble plus vouté. Je frissonne. J’efface les mauvaises images de mes pensées et ma détermination reprend le dessus. Je glisse ma main au fond du sac et en extirpe le revolver. Je le braque sur sa nuque. Je veux qu’il me voie…
-Mr Pontein ?
Il se retourne aussitôt, surpris, puis se tétanise. Il a vu l’arme. Il m’a vu. Il a compris. Il voudrait parler mais rien ne sort de sa bouche sèche et ridée. Il est vieux. Il a le regard d’un animal blessé qui appel à l’aide.
- Personne ne vous pleurera Mr Pontein, vous n’êtes qu’une ordure.
Il me regarde et je revois alors dans ses yeux le couloir, la chambre, le dessus de lit…
Je tire.

amandine