Destination : 85 , Itinéraire assassin
meurtre ? A vous de juger
Meurtre ?
Pour la quatrième fois de la journée, il vient de me traiter de gourde. J’ai également eu le droit a quelques « hey, machine » et un « duduche ». Je passe sous silence les « la blonde » qu’il arrive à prononcer d’une façon presque aussi méprisante que son regard lorsqu’il se pose sur moi.
Si vous saviez le nombre de fois ou je l’ai remis à sa place ! Mais rien n’y fait. Je lui réponds pourtant avec tact, calme, classe, intelligence, fermeté. Parfois aussi je l’insulte et je l’ai déjà traîné un nombre incalculable de fois devant les prudhommes. La nuit, dans mon lit.
J’en suis arrivée au stade de la désincarnation. Lorsque je passe le seuil de notre bureau, j’accroche mon manteau et mon estime au porte-manteau. Je fais mon travail, j’enregistre les ordres et j’essaie de faire le tri avec les piques qu’il me lance. Ma carapace a beau être de fer, je vois bien qu’elle commence à rouiller.
« Catherine, si vous enleviez les moufles que vous avez a chaque main, vous réussiriez peut être à noter correctement un numéro de téléphone ? » Je crois que ce que je déteste le plus chez lui c’est sa façon de se maîtriser. C’est un sadique discret, efficace. Très talentueux en somme. Je n’ai jamais vu une goutte de sueur couler le long de ses tempes, ses joues restent toujours blêmes et sa voix joue toujours les mêmes notes.
« Pauvre abruti, t’es même pas capable de retenir le numéro de ton client, de toutes façons t’en a qu’un de client, l’autre c’est ta mère.»
« Bon Catherine vous allez me le pondre oui ou non ce numéro, c’est un 94 ou un 95 ?
« 95 ».
Il est 16h, une heure et demi à tenir et c’est les vacances, les grandes vacances. Lorsque j’ai fini mes études j’étais heureuse non pas d’avoir obtenu mes diplômes mais je me disais que jamais plus je ne sentirai la boule au ventre que j’avais chaque matin avant d’aller en classe. Et bien je me trompais, et comme une gamine j’attends encore avec hâte les vacances. Pourtant je n’ai rien de prévu mais la solitude me suffit, je veux juste être tranquille, c’est tout. Ce que je ne supporte pas c’est le fait qu’on se ressemble sur certains points. Lui non plus n’a pas d’amis, peu ou plus de famille. Personne ne tient à lui et il ne tient à personne.
Ça y’est il est 17h30. Je prends mon sac, mon bonzaï, et je rassemble les miettes de courage qu’il me reste pour lui dire au revoir et encaisser ses dernières crasses.
Le salaud ! Il est déjà parti !il a réussi son coup je me sens encore plus insignifiante que jamais. Je sens les larmes qui me montent aux yeux mais je me retiens il ne faut pas que je m’effondre juste avant les vacances, il ne va pas me gâcher mes 2 mois de liberté. J’ai des visions de pneus crevés, de papier toilettes enveloppant sa maison, de coups de fil anonymes la nuit, mais je sais bien que je suis incapable de faire ça. Je m’effondre dans son fauteuil en cuir, son horrible fauteuil en cuir qu’il a payé si cher. Je cherche un mouchoir dans mon sac et mes doigts butent sur un flacon en plastique tiède. Mes analyses d’urine ! C’est vrai je dois passer ce soir au laboratoire déposer mon échantillon d’urine. Je suis morte de peur mais il faut que je le fasse, ça c’est à ma portée, je le sais. J’attrape le flacon et dévisse le couvercle rouge, une odeur chaude un peu écœurante s’en dégage. Je regarde une dernière fois autour de moi, mais je suis sure il est bien parti. Je verse délicatement mon urine sur le fauteuil, je laisse couler l’urine depuis l’appui tête et je la vois serpenter dans les méandres du cuir, imprégnant le tissu de ses molécules odorantes. J’en rajoute sur les accoudoirs et je finis par imbiber largement le siège, là ou ses royales fesse se poseront.
Je referme le flacon et le fourre dans mon sac, effrayée par mon audace je vérifie que je n’ai laissé aucune trace de mon passage, j’ai les joues en feu. Je courre presque jusqu’à la porte du bureau, je l’ouvre et la claque, ça y’est je suis dans le couloir de l’immeuble je peux reprendre mon souffle. Personne ne peux me surprendre, l’immeuble est complètement vide depuis vendredi dernier.
Soudain je sens mes poils se hérisser sur ma nuque.
« Catherine c’est vous ? C’est Frédérique, je suis coincé dans l’ascenseur. Rendez-vous utile pour une fois appelez les pompiers ou un dépanneur, je ne sais pas moi mais faites quelque chose »
« Oui oui, tout de suite, je sors pour avoir du réseau ! »
Je descends en panique les 4 étages de l’immeuble, les 2 prochaines heures défilent devant moi, l’attente avec lui, le dépanneur et surtout le verre de whisky qu’il voudra lui payer, un verre de son meilleur whisky qui se trouve dans son bureau. J’imagine la crise, la fureur et la honte.
« Et bien maintenant ma petite Catherine, je vais vous appeler la pissouse, la petite pissouse ! » J’imagine les retenues sur salaire pour payer son fauteuil. Je vais être obligée de démissionner, de déménager ! On a beau avoir une vie qui ne mène a rien, on s’y accroche plus fort qu’aux jupons de notre mère.
Ça y’est je suis dehors, mon téléphone capte. Je peux appeler un dépanneur, ou les pompiers. J’appelle les renseignements, elle me met en relation avec une entreprise de dépannage. Je vois mes parents, la déception, une fois de plus dans leurs yeux. Une sonnerie. Je vais devoir prendre un travail à l’usine ou faire des ménages. Deuxième sonnerie. Je vais me retrouver en foyer. Musique d’attente. La truite de Schubert hurle à mes oreilles, je raccroche. Je fais un pas puis deux vers mon arrêt de bus. Il n’a pas de famille, pas d’amis, son portable ne captera pas. L’immeuble est déjà vide. Mais moi j’ai une vie, qui commence peut être enfin à me sourire. J’accélère le pas, je vois mon bus qui arrive au coin de la rue. Je me mets à courir je sens le vent qui glisse contre mes joues, je me sens si légère !
Rosalie Scult