Destination : 85 , Itinéraire assassin


Tuer à tout prix

C'était devenu insupportable, il fallait mettre un terme à cela.
Je n'en pouvais plus de le voir passer, chaque jour un peu plus vite, en me narguant.
Ah, je suis d'une autre époque ? Et bien on allait voir ça.
C'est décidé, aujourd'hui, c'est lui qui va me voir passer, à toute allure. Il aura beau courir, il ne me rattrapera pas. Pour une fois, les rôles seront renversés.
Passer, je vais le conjuguer au passé, au présent, au futur. J'y mettrai peut-être une condition ou même sans condition. Tout concordera.
Autant que je m'en souvienne, depuis des nuits et des nuits, des nuits sans lune, des nuits de lune noire, il ne s'est jamais arrêté, pas une fois, prétextant je ne sais quoi, des histoires de gros sous.

Il m'a suffit de quelques minutes pour atteindre le bord de mer. Tennis aux pieds, débardeur, collant de sport, lecteur de MP3 à l'oreille, podomètre à la ceinture, je me fonds dans la file de ces jeunes qui s'entraînent à courir chaque soir, sur le trottoir longeant la plage.

Il y avait encore quelques baigneurs quand j'ai vu débarquer l'armada sur le sable. Aussitôt, les hommes se postèrent, respectant une distance de cent mètres environ, les uns des autres. Cannes en carbone, moulinets en alu rutilant, lignes bien tendues, fils alourdis de grappins et autres pendeloques en plomb. Je n'en revenais pas. Du matériel de milliardaires. Les lignes sur des porte-lignes, comme des porte-manteaux, les cannes dans leur support, contre des trépieds pliants, des chariots débordant de trésors, des boîtes pleines de mystères, malices, farces et attrapes. J'ai essayé de questionner l'un de ces hommes. Importune je fus! Trop occupé, pas un moment à perdre, il est en plein concours, en pleine campagne de pêche, comme d'autres emploient leur temps à la campagne électorale. Quel mufle !
On s'épie du coin de l'œil, on se dissimule derrière un grand parapluie vert pour se prémunir des rayons de lune. La maligne, elle est capable de tout.
Elle est déjà là, la lune, blafarde dans un reste de ciel bleu. Dans quelques minutes le soleil disparaîtra derrière les crêtes de l'Estérel. Ce sera l'heure de leurrer ces poissons, avec force mouches, alevins factices, simili de crevettes, vers de vase, le tout à la cuillère. Un grand seau est prêt pour recueillir les victimes.
Oh ! on ne va pas en faire un plat. Moi, j'ai pris du plaisir à cette partie de pêche. Je suis restée jusqu'au bout, jusqu'à la remise des prix.

Vous croyez que j'ai oublié mon objectif ? Que nenni !
Puisque je ne pouvais l'arrêter, le temps, je devais m'employer à le tuer. A tout prix.

Mireille/Miréio le 29 avril 2007

mireille