Destination : 4 , Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part.
Carte postale nocturne
Mille feux brillent dans la nuit. Non, non, pas le généreux scintillement des étoiles, non, juste ces milliers d’étincelles artificielles offertes à l’obscurité contre une facture gonflée d’électricité…
Paris. Paris la nuit. Paris illuminé couleur métal précieux. Ville de strass pour boutiques de luxe.
Champs Élysées, tour Eiffel, grosse mouche vitrée et pleine à craquer glissant sur la Seine, piliers de ponts sculptés, ouvrages enrubannés.
La carte postale est belle. Enfin, presque…
Le photographe a cadré large. Un peu trop diront certains, ça gâche…
Moi, je ne fais plus partie du monde, Monsieur. Non, je vis AU BORD du monde. Je suis rescapée d’une civilisation déchue.
La philosophie, Monsieur, elle m’a déçue. J’ai donné des cours à la Sorbonne, c’était avant. Avant que ma famille m’abandonne. Aujourd’hui je vis enfermée dehors, dans les beaux quartiers brillants d’or. Je suis devenue un fantôme des rues, parfois même un spectre de couloirs de métro, lorsque l’hiver sort ses crocs. Au petit matin, lorsque la nuit n’a pas encore fuit et que la ville sommeille, vite je me presse. Plier ma couche de carton, rouler mon duvet mité. Mité, mais chaud, s’il vous plait ! Puis trouver mon déjeuner : me rendre aux invendus et si j’arrive trop tard, je suis bonne pour m’installer au pied du MONOP’ avec ma pancarte en carton. Ensuite, il me faut rejoindre mon coin, celui que j’ai choisi. Pas trop isolé, par peur de me faire agresser, même si ça fait bien loin que je n’ai rien à me faire voler. Abrité du vent, de l’eau quand elle ne tombe pas trop fort, car ma peau depuis quelques temps ne fait plus l’étanchéité, mes os réclament qu’on refasse les joints ! Je n’peux pas, je leur ai dit. Et je me suis acheté une couverture de survie. Comme ça je suis assortie à ce Paris doré. Sur la photo, c’est plus discret.
Ce que j’aimerais pour demain ? Je ne sais pas, Monsieur, je ne sais pas…
Si ! J’aimerais trouver quelques sourires, un peu d’humanité.
Pas forcément des tonnes, faut pas que je sois trop gourmande, mais… un petit peu chaque jour.
Des sourires, des mots gentils, à garder précieusement dans une boîte secrète, à revisiter dans les moments où mon moral se fait la malle, ou bien à accrocher sur le sapin de mon cœur, pour me faire un Noël en douceur,
Rester au bord du monde, mais pouvoir de temps en temps en croquer un morceau.
Et puis, autre chose : j’aimerais que quelqu’un m’attende quelque part.