Destination : 4 , Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part.


Maintenant, c'est moi qui t'attends

Maintenant, je l’attends



Midi, aujourd’hui, c’est moi qui t’attends, toi mon chien, mon Taf, mon
compagnon de tous les jours,



Depuis dix jours tu n’allais pas bien. Tu ne mangeais plus, toi le
gourmand, gourmand de croquettes mais aussi gourmand de caresses et de
tendresse.



J’ai pensé : « C’est normal, il fait chaud ».



Mais deux jours, puis trois sans manger, c’est trop, beaucoup trop.



Alors mon ami, Jo, le vétérinaire est venu, tout de suite, et la valse
des analyses a commencée : anémie, puis leucémie…



Pauvre Taf : toi le chien enjoué, le chien qui ne me lâchait pas d’une
semelle, toi le chien au regard tendre et profond, tu étais très malade.



Tous les deux jours, une ou deux injections d’un liquide carmin donnait,
à toi, un semblant d’appétit, et à moi un regain d’espoir.



Je te faisais promettre de guérir vite, et j’interprétais ton regard
comme un accord, un engagement, une promesse.



Hier soir, je suis rentrée tard, tu étais couché, tu ne t’es pas levé
pour me faire la fête.



Tu as mangé, rien que pour me faire plaisir, quelques petits morceaux de
viande, pris délicatement au bout de mes doigts. Mais ton estomac ne
pouvait pas les garder, ni les digérer.



Ce matin, je ne pouvais pas dormir, et c’est vers cinq heures que je me
suis levée pour aller te voir.



Ton regard était lourd et triste, tu n’avais plus le courage de te
lever.



Je t’ai proposé une promenade, pour nous deux, ensemble : tu as fait une
tentative, tu t’es levé, tu as marché sur moins de deux mètres, et tu
t’es affalé, épuisé par cet effort.



Je me suis assise près de toi, nous avons parlé, de tout, de rien, de
toi, de moi.



Je t’ai encore supplié de guérir, et j’ai interprété tes soupirs : oui,
tu allais guérir, mais tu semblais tellement épuisé.



J’ai attendu, les yeux sur la pendule, qu’il soit une heure acceptable
pour appeler, Jo, mon ami le vétérinaire.



Je t’ai mis dans la voiture et nous sommes allés en consultation : déjà
je présentais l’irréparable.



Deux heures d’examens, de radiographie, de contre radiographies, de
questions…



Et puis la question qui fait mal : « Si c’était votre chien, que
feriez-vous ? »



« Si c’était mon chien, dit le vétérinaire, je ne tenterais pas une
opération inutile »



J’ai tout de suite compris, je le savais, je le présageais depuis hier
soir.



Encore un temps pour hésiter, une décision difficile à prendre. Les
radiographies sont formelles : tumeur impossible à opérer !



Alors, Jo, le vétérinaire est sorti, nous laissant seuls, tout les deux
: toi épuisé, moi en larmes



- Tu m’avais promis Taf, tu m’avais promis



- Oui, disaient tes beaux yeux, mais je suis si fatigué.



Alors nous avons parlé, parlé de ta vie à la maison, de nos joies
partagées.



Tu as eu une belle vie, Taf, dis moi que tu as été heureux. J’ai besoin
que tu me dises que ces huit ans partagés furent huit ans de bonheur,
pour toi aussi.



Quand nous nous sommes tout dit, quand je croyais ne plus avoir de
larmes, quand tu as fermé les yeux, je ne sais pas si c’était
d’épuisement ou de tristesse, je suis allée chercher Jo, le vétérinaire.



J’ai dit : Il faut le respecter et ne pas lui imposer ce qu’il ne peut
plus supporter.



J’ai pris ta tête dans mes bras, j’ai embrassé ta truffe, j’ai soufflé
sur tes narines, je t’ai dit « Au revoir mon Taf ».



C’est couvert de caresse que je t’ai accompagné dans ton sommeil pour
l’éternité.



- « C’est fini » a dit , Jo le vétérinaire.



J’avais du mal à y croire : tu dormais, tu dormais simplement, j’ai dit
«Vous en êtes certain ? »



« Oui, le cœur ne bat plus, c’est fini».



Alors doucement j’ai enlevé ton collier, je l’ai mis dans mon sac.



J’ai encore pleuré, et pleuré encore.



Maintenant, je suis à la maison et c’est moi qui t’attends.



Tu n’es pas venu me faire la fête quand je suis arrivée, tu n’es plus
sous mon bureau quand j’écris. A table au cours du premier repas sans
toi, j’ai pu tendre mes jambes car tu n’étais plus couché sur mes pieds.



Ton collier est encore dans mon sac, ta gamelle d’eau est encore pleine
; et maintenant c’est moi qui t’attends.



Je t’attends, mais tu ne viendras pas mon Taf, mon chien, mon ami, mon
compagnon.

Suzy