Destination : 24 , Hommage à M. Merle


Nadia

Nadia s’éveilla. Autour d’elle, un silence lourd. Elle ne reconnaissait

pas les lieux, ni les gens qui jonchaient le sol, à quelques pas d’elle.

Son premier instinct fût de crier. Crier le plus fort possible pour

attirer l’attention. De qui ? Tout ces corps sur le sol, immobiles,

n’attendant plus que le croque mort pour les enfouir sous terre. Elle

ouvrit la bouche pour crier, hurler, mais aucun son ne sortit de sa

bouche. Elle tenta encore une fois de se manifester, mais seulement ses

lèvres bougèrent Elle chercha sa mère du regard. Il y avait tellement de

corps, entremêlés les uns aux autres. Nadia ne savait plus où regarder.

Puis un des corps bougea, en faisant tomber un autre sur le dos du même

coup, Celui d’une femme...Sa mère ? Non la femme était blonde et non

brune, comme sa mère. La tête de la femme en un dernier sursaut se tourna

vers elle. Sa peau avait une teinte bleutée, un affreux rictus, la

défigurant, ses yeux, exorbités, effrayèrent Nadia. Réprimant un cri,

Nadia porta les mains à son visage, les poings serrés sur ses yeux pour

l’empêcher de voir. Elle s’obligea à compter silencieusement jusqu’à 100

avant de baisser les bras, et d’ouvrirent les yeux.



Plus aucun mouvement. La femme la dévisageait toujours Nadia détourna le

regard et en profita pour examiner l’endroit où elle se trouvait. La pièce

était immense. Les murs s’élevant si haut qu’elle avait du mal à en

apercevoir le toit. Il faisait froid. Le sol de terre battue sur lequel

elle était assise, était recouvert d’une mince couche de frimas. Il

faisait sombre. À peine un peu de lumière parvenait à s’infiltrer à

travers les carreaux sales. Non pas des carreaux, des vitraux. Elle se

trouvait dans une chapelle. Ses yeux avaient extrêmement de difficulté à

s’adapter à cette noirceur. Elle n’osait pas bouger, de peur de trébucher

et de tomber. Elle ouvrit de nouveau la bouche, mais encore une fois aucun

son ne franchit ses lèvres. C’était étrange comment il n’y avait pas le

moindre bruit. C’était comme si elle était la seule survivante… Mais à

quoi donc avait-elle survécu ? Nadia tenta en vain de se souvenir. Mais

rien, le néant, pas d’images, pas de sons, pas de souvenirs…. Plus rien

que le présent. Et quel présent ! C’est alors que la peur qui jusque là

l’avait ignoré la rattrapa. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer ici. Sa

mère, elle devait à tout prix savoir si sa mère se trouvait parmi les

corps.



Lentement, Nadia déplia ses jambes et prenant appui sur le sol gelé se

leva. Ses yeux commençaient à s’habituer à la pénombre. Elle prit grand

soin d’enjamber la femme blonde. Elle ne voyait sa mère nulle part.

Peut-être était elle toujours vivante ? Il n’y avait qu’un moyen d’en être

sure. Regarder chaque corps un à un. Nadia prenant une grande

respiration, entreprit lentement cette désagréable besogne.



Au bout d’une demi-heure, elle avait parcouru un peu plus de la moitié de

la salle. Aucun signe de sa mère, personne de vivant à l’horizon. Et

toujours ce silence, lourd de menaces qui l’enveloppait. Chacun des corps

qu’elle avait réussi à déplacer, avait la même apparence bleutée que la

femme blonde. Le même affreux rictus, les yeux exorbités comme s’ils

avaient vu, tout juste avant de mourir quelque chose d’horrible. La vue de

ces horreurs, ne la dérangeait même plus, c’est comme si elle était

devenue immunisée… Nadia commençait à avoir froid. L’air glacial

s’infiltrait sous son parka la gelant jusqu’aux os. Elle revint sur ses

pas. Enjambant les corps comme s’ils n’étaient que de vulgaires

immondices. Puis elle s’arrêta devant le corps d’un adolescent. Avec

difficulté, ses doigts endoloris par le froid, elle détacha l’anorak du

garçon et l’enfila. Il était un peu trop grand, mais par-dessus son parka

ça ferait. Elle lui enleva ses gants ainsi que sa tuque, avant de tenter

de lui fermer les yeux. Mais impossible, c’était comme si les paupières

n’arrivaient plus à fermer par-dessus les yeux. Tant ils étaient enflés

Tant pis, elle se résigna à l’abandonner comme cela. Elle devait continuer

ses recherches, sa mère devait bien se trouver ici, à quelque part. Et

puis bouger l’empêcherait d’avoir plus froid.

Nadia avait presque terminé son ingrate tâche, lorsque les sons lui

revinrent peu à peu. D’abord sa respiration sifflante à cause des efforts

qu’elle devait fournir, puis le froissement du matériel de l’anorak à

chaque fois qu’elle bougeait ses bras. Ensuite il y eut un bruit bizarre.

Comme un grognement de chien, mais plus sourd et plus grave. Nadia

n’arrivait pas à localiser la provenance de ce son. Le son s’amplifia, de

plus en plus menaçant, tel un coup de tonnerre qui n’en finit plus. Et

cette odeur de pourriture qu’elle remarquait pour la première fois et qui

lui donnait l’envie de vomir. Cela venait de la grande porte devant elle.



Laissant son instinct la guider, Nadia fit volte face, et reprit en

courant la direction de la l’autel. Elle devait s’éloigner le plus

possible de ce mur, de cette porte, de ce son affreux et surtout de cette

odeur. Elle enjamba la femme blonde. Le bruit résonnait maintenant à

travers tout son corps, faisant vibrer jusqu’au plus petit de ses os. Ses

oreilles la faisaient extrêmement souffrir. Enfin elle atteignit l’endroit

où elle s’était éveillée. S’accroupissant elle réussit tout juste à se

blottir sous la table. L’anorak volumineux, lui laissait à peine l’espace

nécessaire pour respirer Les yeux fermés, les poings serrés sur sa bouche,

pour ne pas crier, Nadia attendait. Quelque chose allait se passer.



L’odeur, nauséabonde, se faisait de plus en plus insistante, et le bruit

assourdissant. Soudainement, le grondement s’arrêta, et le froid

disparut. Même qu’il se mit à faire extrêmement chaud. Nadia transpirait

maintenant dans le parka Elle osa ouvrir les yeux. Au sol plus aucune

trace de frimas. Le grondement qui avait cessé quelques secondes

auparavant fut remplacé par un lourd bruit de pas. Nadia referma les

yeux. Ce bruit ne lui inspirait pas du tout confiance…Les pas se

rapprochaient de sa cachette de plus en plus, jusqu’à s’arrêter de l’autre

côté de l’autel. Nadia retint sa respiration. L’odeur était répugnante.

Elle n’avait jamais eu aussi peur de sa courte vie. Même pas l’année

dernière lorsque son oncle Fred l’avait emmené dans les énormes montagnes

russes du parc d’attraction. Mais où se trouvait donc sa mère ? Nadia pria

de toutes ces forces pour que la chose qui se trouvait l’autre côté de

l’autel ne détecte pas sa présence. Elle entendait maintenant la

respiration sifflante de la chose. Une chose était certaine, il ne

s’agissait pas d’un être humain. Mais de quoi s’agissait-il ? Elle n’en

avait pas la moindre idée, et à bien y penser, peut-être était-ce mieux

qu’elle ne sache pas….



Alors que Nadia avait l’impression que ses poumons allaient exploser, la

chose s’éloigna. L’odeur diminua graduellement. Les bizarres bruits de

pas, telle une valse à 3 temps, s’éloignèrent, reprenant la direction d’où

ils étaient arrivés. La chaleur suffocante s’estompa, rendant la

température plus facile à tolérer. Nadia osa expirer. Tout doucement afin

de faire le moins de bruits possible. Elle attendit un bon 10 minute avant

de sortir de sa cachette.



Il restait toujours un relent de cette odeur pestilentielle auquel

s’ajoutait maintenant une odeur de putréfaction émanant des cadavres. Le

soudain réchauffement de température avait sûrement accéléré le processus

de décomposition.



Nadia enjamba les corps. Elle devait à tout prix terminer sa fouille des

lieux. Et le plus rapidement possible, si jamais cette chose revenait…

Elle ne se sentait plus en sécurité, l’avant elle déjà été, dans cette

église… À mi chemin, elle abandonna l’anorak sur un coin de banc.. La

température baissait rapidement maintenant que cette chose avait disparue.

Mais Nadia avait trop chaud Il ne lui restait plus qu’une dizaine de

cadavres à examiner. Nadia commençait à espérer que sa mère ne se

trouvait pas parmi eux. Elle ne savait pas ce qui s’était passé ici, ni

pourquoi elle avait été épargné, mais ça semblait plutôt atroce.



Cela lui rappela un vieux film que Madame Perrault, leur avait fait

visionner en classe de science cet hiver. Elle n’arrivait plus à se

rappeler le titre… Il y avait eu une bombe atomique. Une espèce de gros

champignon de feu qui avait explosé dans le ciel, détruisant toute forme

de vie à des kilomètres à la ronde…



Peut-être était ce qui était arrivé ici ? Mais où était ici ? Et pourquoi

n’arrivait-elle pas à souvenir ? C’était comme si elle essayait de lire un

livre où plus de la moitié des mots avaient été effacés… Enfin, le

dernier cadavre retourné, Nadia laissa échapper un soupir de soulagement.

Sa mère ne se trouvait pas ici. Peut être était elle saine et sauve,

ailleurs ? Peut être avait elle réussie à s’échapper à temps… mais si

c’était le cas, pourquoi avait-elle abandonnée Nadia ? Une autre

alternative vint frapper à la porte de son cerveau, mais elle préféra

l’écarter.



N’ayant plus rien à faire ici, Nadia décida de quitter la chapelle. Se

dirigeant vers la porte secondaire, située sur le côté de la chapelle,

(elle n’osait pas utiliser la porte principale, puisque c’était la voie

qu’avait utilisé la chose…). Elle récupéra l’anorak, et après une demi

seconde de réflexion, fit demi-tour et s’empara d’un sac à main qui

traînait par terre. Elle commençait à avoir faim et un peu d’argent lui

serait sûrement utile.



Nadia ouvrit le sac à main. Fouillant parmi les divers objets qui s’y

trouvaient, elle y trouva enfin ce qu’elle cherchait, le porte-monnaie.

Elle l’ouvrit. La chance lui souriait, le porte feuille était rempli de

billets, qu’elle s’empressa de faire disparaître dans la poche de ses

jeans. Elle versa le contenu du sac sur le sol, comme elle avait vu sa

mère faire de si nombreuses fois, lorsqu’elle n’arrivait pas à trouver ce

qu’elle cherchait. En fait toutes les femmes qui entouraient Nadia avaient

tendance à remplir leur sac à main de divers menus objets, au cas où…La

plupart du temps, elles n’utilisaient pas cet hétéroclite bazar, mais

mieux valaient être plus prête que pas assez ! Du moins, c’est ce que

répétaient constamment sa mère et ses tantes. Apparemment cette femme

était aussi de leur avis. Il y avait de tout dans ce sac. Du maquillage en

quantité industrielle, un flacon d’analgésiques, une demi-douzaine de

tampons, un tire bouchon, un briquet, des sous vêtements de rechange, un

téléphone cellulaire, des préservatifs, un calepin accompagné d’un crayon,

des kleenex dans un sac ziplock, un miroir de poche ainsi qu’une étrange

petite boîte en acier galvanisé. Curieuse Nadia ouvrit délicatement la

boîte. À l’intérieur, reposant sur un fond de velours bleu se trouvait un

minuscule revolver ainsi qu’une boîte de cartouches supplémentaires.

Nadia hésita quelques secondes. Elle n’était pas très chaude à l’idée de

se balader avec une arme à feu… Mais si la chose revenait et la

retrouvait… Mieux valait être plus prête que pas assez. Elle referma

soigneusement la boite et la glissa dans la poche de l’anorak. Elle décida

aussi de s’approprier le briquet, le cellulaire (qui semblait

fonctionner) ainsi que le flacon de comprimés. Jetant un dernier coup

d’œil sur l’amas de cadavres, Nadia ouvrit la lourde porte de bois.



À l’extérieur l’air était beaucoup plus froid que dans la chapelle. Le sol

était, sauf par endroit, recouvert d’un fin tapis de neige étincelante.

Nadia referma l’anorak, glissant la fermeture éclair jusqu’en haut et

enfonça sa tuque sur ses oreilles. Prenant son courage à deux mains elle

enjamba le porche et descendit les 3 marches devant elle.

Caroline