Destination : 153 , Peur sur Ailleurs


Peur sur la Ville

D’abord, il y a eu ce bruit. Assourdissant, violent, brutal. Une déflagration, comme si un avion avait passé le mur du son juste au-dessus de nos têtes tandis que, sous nos pieds, une secousse parcourait le sol. Les lumières se sont éteintes. A peine le temps de se demander ce qu’il se passait qu’une seconde explosion se produisit avec une telle violence que les vitres, les fenêtres, les cloisons ont volé en éclat. Quelques bâtiments se sont effondrés, d’autres ont été endommagés, tandis qu'une pluie de verre s’abattait dans la rue. Ensuite, il y a eu nos regards. Interrogatifs, hébétés, hagards, perdus. Des personnes étaient allongées par terre, le visage ensanglanté. Un homme assis regardait sa main emplie de sang sans dire un mot, presque surpris : il semblait se demander si c’est le sien ou celui d’un autre. Dans la rue, dans les maisons, dans les bureaux, dans les salles de classe : c’était partout le même chaos, la même confusion. Des cris, des pleurs, des gémissements commençaient à se faire entendre et, petit à petit, les sirènes des secours ont envahi l’espace.



Maintenant, il faut agir, aider ceux qui en ont besoin, appeler les secours, rassurer les proches. Les téléphones ne passent pas, les services des urgences ne peuvent pas répondre face au flot des appels qui submergent les réseaux. Que s’est-il passé ? Est-ce un attentat terroriste comme à New-York ? Est-ce une explosion nucléaire ? Un accident industriel ? Les hypothèses les plus incroyables émergent dans toutes les têtes ; les questions se bousculent sur toutes les lèvres tandis que les pensées sont toutes tournées vers les siens : comment vont-ils ? Et puis ce nuage rose-orangé qui avance dans le ciel toulousain, venant du Sud, poussé par le vent vers le centre, il survole la ville. Un frisson de panique : il faut s’abriter, se cacher, se calfeutrer pour ne pas respirer les émanations toxiques mais quelle ironie ! Comment se protéger quand il n’y a plus de fenêtres ?



Enfin, enfin on peut partir, c’est une véritable fuite, une scène d’exode : à pied, en vélo, en voiture. Une seule idée dans la tête de chacun : retrouver son père, sa mère, sa sœur, son frère, son fils, sa fille. Etre ensemble, et être certain que tout le monde va bien. La Rocade Sud est impraticable, les files de voitures s’étirent le long des rues et des routes, la gare Matabiau est bondée de passagers en partance pour n’importe où. L’important est de rentrer chez soi, et même plus loin que ça. Dans les heures qui suivent, beaucoup sortent de Toulouse, partent se réfugier dans la famille ou chez des amis, le plus loin possible de ce cauchemar dont on connait maintenant le nom : AZF.Certains ne pourront jamais revenir vivre dans la capitale occitane.



Pourtant ce soir, comme tous les soirs, le soleil se couchera sur la Garonne, jouant sur les briques roses pour donner à la ville sa lumière éclatante. La Place St-Pierre, si joyeusement animée d’habitude, restera étrangement vide et silencieuse, tandis que quelques rares passants longeront les cornières de la Place du Capitole. Le manège du Jardin des Plantes n’ouvrira pas ses portes à des enfants insouciants. Dans les maisons, ce soir, on entendra des soupirs de soulagement, des larmes de bonheur et parfois, parfois, des cris de souffrance ou de désespoir. Et cette nuit, pour ceux qui arriveront à trouver le sommeil, la valse lente des insomnies et des cauchemars pourra commencer. Car partout, pour tous, au-delà des blessures et des séquelles physiologiques, il y aura la peur. Celle qui submerge, qui étreint, qui étouffe. Celle qui perdure et qui subsiste, quoi qu’on fasse et où qu’on soit. Celle qui fait qu’on ne supportera plus les ballons qui éclatent, les pétards et les feux d’artifices, même dans dix ans. Celle qu’on n’oubliera pas, parce-qu’une question nous hantera toujours : pourquoi ?

Myriam