Destination : 167 , Métamorphose
Je suis un homme oh ! comme ils disent...
JOUR 1 :
Aujourd’hui, en me levant, il m’est arrivé quelque chose d’étrange.
Au lieu de me retrouver sur mes quatre pattes, je me suis dressé sur celles de derrière. J’ai relevé mon buste, un peu mais pas trop parce que cela me faisait perdre l’équilibre. D’abord tremblant, je me suis peu à peu habitué à cette nouvelle position et j’ai commencé de lever un pied, puis l’autre, pour essayer de me déplacer dans cette drôle de posture. Mes membres flageolants avaient du mal à obéir et je suis tombé maintes et maintes fois au cours de la matinée. Mais, à chacune de mes chutes, je me suis relevé pour continuer, coûte que coûte, ma lente progression.
A midi, j’étais déjà plus solide et mes mouvements devenaient de plus en plus souples. J’ai alors levé les yeux pour découvrir, émerveillé, l’infini du paysage qui s’ouvrait devant moi. Je me suis senti grand, et fier. J’ai alors continué d’avancer, encore et toujours, et de plus en plus loin, pour découvrir ces régions splendides qui chaque fois, repoussaient l’horizon loin de mon regard.
Au soir, j’étais devenu celui qui se tient debout, celui qui marche sur deux pattes. Homo Erectus.
JOUR 2 :
Maintenant que je n’utilise plus mes membres supérieurs pour me déplacer, mes mains ont commencé à se modifier. Elles sont plus petites, et la disposition des doigts change imperceptiblement.
Tout à l’heure, alors que je cherchais de quoi me nourrir, j’ai glissé sur une pierre qui est allé ricocher sur une autre, du même genre. En l’attrapant pour la regarder, elle m’a fait une vilaine entaille sur le doigt et mon sang à coulé. J’ai alors observé ce drôle de caillou et je me suis rendu compte qu’il y en avait des centaines d’autres semblables, dans cet endroit.
Je me suis assis, j’en ai pris deux et je les ai tapé l’une contre l’autre. La première s’est fendue, un éclat s’est envolé, laissant apparaître une masse plus sombre et tranchante. Plus tard, je m’en suis servi pour couper des lianes qui gênaient ma progression. J’ai alors eu l’idée d’utiliser ces lianes pour attacher cette pierre à un morceau de bois.
Dans l’après-midi, je me suis aperçu qu’en frottant très vite deux brindilles sèches, il se produisait de petites étincelles qui me permettaient, si je soufflais dessus pour les aviver, de créer moi-même un feu pour me chauffer, faire cuire la viande et éloigner les bêtes sauvages de mon camp.
Quand le soleil s’est couché, j’avais fabriqué d’autres instruments, en me servant de ces pierres incroyables, de bouts de bois solides ou des os des animaux tués.
J’étais devenu celui qui est adroit, celui qui utilise ses mains pour fabriquer des outils. Homo Habilis.
Jour 3 :
Aujourd’hui est un jour extraordinaire : ce matin, j’ai accueilli mon fils, le premier d’une lignée qui, je l’espère, sera longue et florissante. Devant ce petit être vivant qui sortait des entrailles de ma compagne, mon cœur a été transpercé d’un sentiment de fierté et d’une sensation de chaleur inconnue qui s’est diffusé depuis ma poitrine jusque dans mon ventre.
J’ai appelé les autres pour leur montrer le nouveau-né et, de ma gorge, sont alors sortis des sons étranges, prononcés d’une voix rauque, enrouée qui s’est progressivement éclaircie. D’abord stupéfaits, ils n’ont pas tardé à essayer de m’imiter et nous avons passé la journée à inventer des sons pour désigner tout ce que nous voyions autour de nous.
Et puis, peu avant la tombée du jour, à l’heure où le ciel s’obscurcit, nous avons du dire adieu à notre mère à tous, la mémoire sage de notre clan, qui s’est éteinte après plusieurs jours de souffrances ininterrompues. Cette nuit, à tour de rôle, les hommes vont veiller sa dépouille et déjà, j’entends les voix des femmes psalmodiant le chant qui ne s’interrompra qu’au lever du jour. Demain, nous irons l’ensevelir dans la terre, parée de multiples pierres protectrices indispensables pour accompagner son esprit dans son dernier voyage.
Cette nuit, je suis devenu celui qui parle et s’exprime, celui qui aime et qui souffre, celui qui se souvient du passé et envisage son futur, celui qui pense. Homo Sapiens.
Jour 4 :
Je me suis rendu compte qu’en frottant mon doigt dans la cendre du foyer, puis en le faisant glisser sur les rochers, je pouvais laisser une trace sur la paroi et lui donner la forme que je souhaitais.
J’en ai profité pour chercher dans la nature d’autres poudres pour varier les couleurs. Brun, rouge, ocre, noir… toute une palette s’offre à moi et je peux maintenant représenter ce que j’observe autour de nous : les grands mammouths pacifiques et leurs défenses monumentales, les tigres aux dents acérées, les petits chevaux bruns, les troupeaux de bisons et les ours des cavernes…
J’ai ensuite eu l’idée de transformer ces dessins en des formes simples, reconnaissables par tous, pour faciliter la compréhension de mes signes.
Un peu plus tard dans la journée, nous avons remarqué qu’à l’endroit où nous avions jeté cet hiver quelques graines pourries, de nouvelles pousses avaient germé et s’étaient lentement développées. Nous allons essayer de reproduire ce phénomène dehors, en plus grande quantité, pour pouvoir faire les réserves suffisantes pour nourrir le clan pendant la saison froide. Il faudra ensuite trouver des lieux pour stocker les récoltes. Quelques maigres chats, habiles chasseurs de rongeurs, nous aideront à garder ces réserves intactes.
Nous avons également capturé quelques buffles pour les attacher près de nos habitations. Les femelles auront des petits au printemps prochain, représentants une source non négligeable de viande pour notre communauté qui, depuis que nous ne nous déplaçons plus d’un campement à l’autre comme nos ancêtres, s’accroit peu à peu.
Les quelques loups efflanqués que nous avions apprivoisés pour garder les campements, surveilleront les bêtes et nous préviendront si des animaux sauvages s’approchent des enclos…
Ce soir, je suis celui qui laisse sa trace, qui anticipe et prévoit l’avenir, qui modèle son environnement pour l’adapter à ses besoins et non plus l’inverse. Homo Sapiens Sapiens.
Jour 5 :
En visitant ce matin le village de la tribu voisine, j’ai été soufflé par l’abondance de leurs richesses. Mas ce qui m’a le plus attiré, ce sont les parures brillantes et colorées que tous portaient, aux poignetx, autour du cou ou dans leurs chevelures.
Quand je suis rentré chez nous, malgré notre santé solide, nos nombreux enfants, nos troupeaux florissants et nos réserves foisonnantes, j’étais hargneux. Je ne pouvais m’empêcher de penser aux trésors entrevus, aux richesses si proches que je brûlais de posséder moi aussi.
J’en ai parlé aux autres hommes de mon groupe et nous avons décidé d’aller prendre ce que nous désirions pour nous. Nous avons attrapé les armes qui nous servaient pour la chasse et nous sommes allés attaquer le village. Les habitants, surpris, n’ont pas eu le temps de se défendre : nous avons tué les hommes, les vieillards et les enfants trop jeunes pour être utiles ; emmené les femmes et les enfants pour les mettre à notre service ; pillé les richesses et emporté toutes les réserves. Puis, avant de partir, nous avons brûlé chaque maison du village, pour qu’il n’en reste plus rien.
Ce soir, je suis celui qui jalouse et convoite, celui qui met son agilité, sa dextérité, son esprit et son intelligence au service de ses désirs et de sa puissance. Homo Cretinus.