Destination : 262 , Parler régional
Lou Gascoun
Le patois de mon enfance était bien vivant. Il avait le goût d’un potage aux vermicelles et la tiédeur du bon pain ; il râpait ma joue comme les baisers de mon grand-père et embaumait le salon de l’eau de Cologne de ma grand-mère. Il se teintait de chamailleries, de rires ou de larmes car il était toujours, toujours associé aux moments importants de la vie : les mots qu’on ne voulait pas partager avec tout le monde ou qu’il ne fallait pas que les enfants comprennent.
Le patois de mon enfance n’a rien à voir avec l’Occitan qu’on apprend aujourd’hui. Ce patois-là était celui de mes grands-parents maternels, et donc différent de celui de mes ancêtres du côté paternel. Ils habitaient pourtant à moins de vingt minutes en voiture les uns des autres. Mais il ne faut pas oublier que, pendant des siècles, il fallait multiplier ce chiffre par cinq ou six pour connaitre la distance qui les séparaient.
Le patois de mon enfance portait dans son sang l’histoire de nos ancêtres et celle de la terre, étroitement mêlées. Il était l’unique survivance d’une époque révolue, d’un temps ou le temps s’écoulait lentement, d’un temps qui jaunissait sur de vieilles photos en noir et blanc. Il racontait les milles et une petites anecdotes des gens du village et de tous ceux qui avaient vécu là avant eux. Je suis sûre que les murs des maisons continuent de penser en patois.
Le patois de mon enfance ne s’écrit pas, il se parle. Uniquement, exclusivement. Il se chante aussi, beaucoup, et je garde en mémoire quelques petites comptines enfantines que je fredonne encore parfois. Le patois de mon enfance était une musique qui sonnait à mes oreilles sans que j’y prête réellement attention. Je ne me suis rendue compte de l’importance de sa mélodie que le jour où il a disparu.
Alors parfois, pour maintenir cette flamme, je vais voir mes parents. Et je leur demande de me parler en patois. Au début, ils ne savent pas quoi dire car il y a bien longtemps que ce n’est plus une langue naturelle pour eux. Et puis viennent les mots… Et les premiers accrochages. Car ils ne sont pas toujours identiques, même si la structure grammaticale est similaire. Alors ça rigole, ça se chicane et ça en rajoute… Mais toujours en patois. Et moi je les écoute, et moi je me marre. Les larmes plein les yeux, mais je me marre. Le patois de mon enfance est bien vivant.