Destination : 267 , Microfictionnellement votre
Ardent in Inferno
La réalité – si tant est que l’on puisse nommer les choses ainsi, tant le concept s’éloignait là de toute notion concrète – la réalité donc, était à l’opposé de ce qu’elle avait envisagé. Elle avait toujours su qu’un jour ou l’autre, elle se retrouverait ici, lorsque la Grande Porte se serait refermée derrière elle. Il ne pouvait pas en être autrement, pas après ce qu’elle avait fait. Peu importait le temps passé depuis, la justice des hommes, les raisons, les excuses, les motivations conscientes ou inconscientes. Elle-même n’avait jamais pu se pardonner. Alors…
Elle avait donc eu tout le temps de s’y préparer. Toute une vie, à vrai dire. Mais elle avait toujours imaginé qu’elle se retrouverait dans un monde de souffrance, à la hauteur de celle qui l’avait habitée tout au long de ces années. Sans pouvoir se représentent vraiment quelles seraient ces douleurs puisqu’ici, il n’y avait plus de perceptions tactiles ou sensorielles, déconnectées en même temps que ses terminaisons nerveuses lors du grand bug de son corps.
Or, il n’en était rien. Certes le paysage désolé et lunaire n’avait rien d’attractif, mais l’endroit était calme, profondément silencieux. Un silence qui n’existait pas dans la vie. Au loin, elle aperçut des ombres qui avançaient et semblaient se diriger dans la même direction. Curieuse, elle se décida d’aller à leur rencontre.
La rencontre fut impossible ; dès qu’elle croyait approcher un silhouette, celle-ci s’envolait en fumée avant même de l’avoir aperçue. Elle comprit qu’elle était identique à ces ombres et que la solitude au milieu des autres serait, ici aussi, son quotidien. Ce qui la soulagea, finalement. Elle n’aurait ainsi pas à répondre aux questions, comme cela avait été le cas en prison, pendant ces quelques mois qui l’avaient vieillies de plusieurs années.
Sans s’en rendre compte, elle suivit la direction que prenaient les ombres. Elle arriva bientôt au bord d’un immense cratère à la profondeur insondable. Un immense feu sans chaleur s’élevait du fond de ce gouffre, les flammes s’élevaient sans émettre un seul crépitement. Les ombres tournaient lentement autour du cratère. Certaines repartaient au bout d’un moment pour revenir plus tard, comme aimantées par le lieu. D’autres, beaucoup d’autres, se jetaient dans le brasier. L’ombre était happée par les flammes dans un éclair bleuté, avant de disparaitre.
D’abord perplexe, elle ne mit pas longtemps à en comprendre les raisons. Car là, dans cette solitude fantomatique, il ne lui restait que ses propres pensées, sans jamais rien n’y personne qui ne vienne détourner le flot incessant de ses idées. Noires, évidemment.
Au début, elle avait essayé de faire diversion, de s’accrocher à quelques images heureuses de sa vie : son enfance, des souvenirs d’école, un goûter d’anniversaire, le rire de sa sœur. Mais, obstinément, venait toujours le moment où surgissait les autres images, celles qui avaient un goût de sang. Elle finit par ne plus voir que celles-là, comme un film qui se rembobinerait automatiquement pour se réenclencher dans l’écran de sa mémoire, indéfiniment.
Depuis combien de temps était-elle arrivée là ? Impossible de le savoir. L’éternité n’a pas de temporalité. Cela pouvait correspondre à quelques minutes seulement comme à de nombreuses années. Elle devenait folle de cette folie, il fallait que cela s’arrête.
C’est ainsi que, comme d’autres ombres autour d’elle, elle revint tourner autour du cratère, regardant les flammes, hypnotisée par leur lumière froide et dansante. Elle s’élança en même temps qu’une autre et se sentit aspirée par un éclair bleuté, dont la morsure glacée la consuma en quelques secondes. Enfin, le noir. Enfin, l’extinction de ses pensées. Enfin, la paix.
Quand elle revint à elle, elle était revenue à son point de départ. Le même paysage lunaire, les mêmes ombres fuyantes et, au loin, le même cratère aux flammes immortelles. Et, au fond de son être, les mêmes souvenirs. Rien n’avait changé. Son répit n’avait duré qu’un instant. Elle était condamnée à cette éternité.
Elle comprit alors qu’ici, l’enfer, ce n’est pas les autres.
L’enfer, c’est soi, et seulement soi.