Destination : 320 , La Fontaine fabuleuse
L'Horloge et le Matou
Dans la certaine maison d’un certain village,
D’un poète amoureux de rimes et de minets,
Sur tous les meubles et objets de la maisonnée,
Une horloge à coucou régnait sans partage.
A chaque heure de chaque jour, elle sonnait,
Même les quarts et demis devenaient prétexte
A régenter de chacun les moindres faits et gestes,
De janvier à décembre, hiver comme été.
Du matin jusqu’au soir et du soir au matin
Le maître des lieux s’accommodait, brave homme,
De la tyrannie de celle qui, tel un métronome,
Donnait le tempo, le rythme souverain.
Mais cette indulgence n’était pas partagée :
Certains mécontents s’imaginaient en secret,
Renverser la présidente autoproclamée
Par un putsch bien sonné, un coucou décapité.
Il y avait parmi tous, un opposant rusé
Qui ne supportait plus sa sieste interrompue
Par les cris victorieux d’un oiseau malotru :
Un malicieux matou au pelage tigré.
Connaissant de la pendule l’absolue vanité,
Il la mit au défi d’être vraiment choisie,
Par une élection, gage de démocratie,
Entre deux candidats : l’horloge et le minet.
La campagne engagée, la lutte était féroce,
Auprès des électeurs de toute la maison
Témoins abasourdis d’étranges allocutions,
Entre nos deux compères, aux différentes forces.
L’une vantait sa constante ponctualité
Qui, tout au long de la vie, marque les heures,
De joie, de solitude, d’amour ou de malheur,
Et nous accompagne, de la naissance au décès ;
L’autre, défenseur d’un épicurisme radieux,
Encourageait chacun à profiter de la vie,
Manger, dormir, aimer. Le raminagrobis
Savait, justement, combien le temps est précieux.
Ainsi était alimenté le brulant débat,
Promesses de campagne, discours enflammés
Programmes alléchants, et la maisonnée
Résonnait des cris de nos deux candidats.
Afin de départager les fameux adversaires,
On organisa, un soir, une confrontation,
Et chacun, face à face, exprima son opinion
Pour savoir lequel ferait mieux son affaire.
Ils venaient à peine de débuter leurs échanges
Que la candidate en place sortait ses effets
Et devant un minet placide et guilleret,
S’excitait le coucou d’invectives étranges.
Laissant l’acerbe mégère déverser son fiel,
D’un vocabulaire digne d’un charretier,
Le matou répondit, quand qu’elle eut terminé,
Se léchant les babines et d’une voix de miel :
« Fort bien, madame la présidente en colère,
Voici ma réponse à vos reproches amers.
Oui, je le reconnais, je juge un peu vite,
Précipitamment peut-être, pourtant je persiste,
J’ai écouté votre discours, attentivement :
Il est vraiment nul, madame, indéniablement.
Si je n’en reprends pas le quart des passages ;
N’allez pas croire que je n’ai rien entendu,
Mais comme le disent les hommes les plus sages,
Que dire à la bêtise mieux qu’un silence ingénu ?
Vous avez affirmé avoir passé des heures
A réfléchir, élaborer votre programme.
Diable, que voulez-vous ? C’est quand même un malheur,
De donner tant pour une si faible trame !
Voici plus d’une heure que vous expliquez ici,
Les raisons qui font que je ne sois pas choisi,
Sans jamais, un instant, nous dire pourquoi,
Vous seriez, madame, plus habile que moi.
Certes je prends mon temps quand vous comptez les heures,
Je me prélasse en rêvant, profitant du bonheur,
D’un bon feu, d’un bon maitre et d’un bon restaurant,
Que je remercie ainsi par mon ronronnement.
Tandis que, ingrate pleine de méchanceté,
Vous ignorez les règles de l’hospitalité,
Nous importunant tous, le jour comme la nuit,
Rappelant qu’avec le temps, chacun de nous vieillit.
Il me semble pourtant que le maitre des lieux,
De poèmes enchanteurs, souvent, nous régale
Partageant avec nous la fantaisie des mots,
La douceur d’un sonnet, la magie d’un rondeau.
Or dans vos phrases, nulle place pour la muse,
Tout n’est que calcul, froideur, exacte mesure.
Vous pouvez en conclure ce qu’il vous plaira,
Jamais votre programme des poètes n’aura,
Ni la verve, ni la beauté, ni la douce musique ;
Jamais vous n’en saisirez la portée lyrique.
La conclusion s’impose, indiscutablement :
Durant toutes ces années sous votre règlement,
Vous n’avez jamais rien compris de l’essence,
L’esprit de la maison, sa légère indolence. »
Humiliée, indignée, l’horloge se referma.
Et l’heure, désormais, continua de passer
Sans troubler la quiétude de la maisonnée,
Car le coucou jamais plus ne sonna.
Le matou, quant à lui, ne fit point de manières,
Et reprit aussitôt ses vieilles habitudes,
Sans plus être contrarié, savourant sa quiétude
Car de quelconque pouvoir, il ne tenait guère.
S’il faut tirer de cette fable une habile leçon,
C’est qu’à compter les heures, on profite de rien,
Qu’il faut prendre le temps quand et comme il vient,
Car il passera vite, et de toutes les façons.