Destination : 146 , Où on va, JF ?


Pourquoi la maman de la petite fille ne veut-elle pas parler au monsieur du téléphone ?

Aaaaaaaaaaaah ! Je plonge avec délice dans l’eau chaude et délicatement parfumée. Mes pensées sont encore envahies par les dossiers en cours… un bref instant, j’y pense et puis j’oublie. Basta ! Je me projette sur la soirée qui s’annonce : resto « l’Alexandrie » avec Alexandra… génial !

Ma mère vient garder la petite et moi, je m’offre une soirée entre copines, sans complexe et surtout sans culpabilité !



Drrrrrrrrring ! Et m…, le téléphone! On peut pas être tranquille cinq minutes pour prendre son bain ? Pfff ! Ça, c’est comme le lundi au soleil : c’est une chance qu’on aura jamais !

- « Chérie ? Tu veux bien répondre s’il te plait ?

- D’accord maman !

- Merci ma puce, t’es mignonne ! »



Je tends l’oreille, pour deviner qui c’est … Quoi ??? C’est l’monsieur d’la dernière fois ? Et re-m…! C’est encore ce pot de colle ! Mais qu’est-ce qu’il m’énerve à appeler comme ça tous les quatre matins ! C’est toujours la même chanson, à croire que soudain, il ne lui en reste qu’une, de chanson, et même pas populaire !

Pourtant, le message est clair : je ne veux plus lui parler, je ne veux plus le voir ni même l’entendre ! Voilà, je suis furieuse ! J’ai envie d’étriper quelqu’un ! Enfin, c’est surtout lui que j’ai envie de fracasser… Ah ! Si j’avais un marteau ! Au cas où, je vais assurer mes arrières : « Chérie ? Si c’est pour moi tu réponds que j’suis pas là, hein ? »



Allez, je me rallonge dans la baignoire, j’adopte la position du lamantin échoué sur la plage et je tente quelques respirations profondes, les yeux fermées, pour essayer de me détendre…

Raté ! C’est son visage que je vois… j’ai même l’impression d’entendre sa voix de canard me fredonner sur un ton mielleux : « J’attendrai, que tu me reviennes à nouveau »… Beurk ! Il n’en a pas marre de jouer au Mal-aimé ?



Mais pourquoi elle lui parle de la voisine ? Et de son père maintenant ! Qu’est-ce que ça peut lui faire que je sois la seule à signer le carnet de notes ? En plus c’est arrivé une seule fois, mais comme sa maîtresse lui a fait une remarque, elle loupe pas une occasion de remettre ça sur le tapis !

Il faudrait pas qu’il croit que c’est lui, le père ! Parce-que ça, y’a pas de risque… Ouf ! Elle lui dit son âge : j’espère qu’il va comprendre que c’est mathématiquement impossible, sauf si j’ai une gestation d’éléphante !



Comment ça je lui ai jamais parlé de lui ? Mais encore heureux, je vais pas me mettre à raconter à ma gosse toutes les conneries que j’ai faites à 17 ans ! Surtout que j’avais pas mal picolé ce soir là… et la téquila ça me réussit pas … (c’est vrai qu’avec du sel et du citron…)



Ooooooooooooooooooooh ! Je crois que je vais péter un câble ! Mais hors de question que je prenne ce téléphone, ah ça non !!! Il peut se mettre à genoux et pleurer jusqu’à remplir ma baignoire, je ne lui parlerai pas !!! Non, non et non !!!



Bon, ça sert plus à rien de patauger, maintenant l’eau est froide : je sors ! Aaaaaaargh ! J’ai oublié d’allumer le radiateur et mon peignoir est glacé ! Je le hais, je le hais, je le hais !

Allez, je m’essuie vite fait et je file à la chambre pour me préparer !

Enfin une bonne nouvelle : maman est arrivée, je l’entends qui s’affaire dans la cuisine…



En passant devant la porte du salon, je ne peux m’empêcher d’écouter … Mais pourquoi elle lui parle de St Maxime ? Il est capable d’y venir l’été prochain pour essayer de me voir ! Oh le boulet ! C’est décidé, cette année, je m’envole au paradis : je vais à Rio !



Mais bien évidemment qu’il connaît l’Hôtel Beau-Rivage ! Cette année-là, c’est là que je dormais avec mes parents, c’est là qu’il me ramenait en scooter, après les soirées en boite avec les copains ! J’étais la pauvre petite fille riche coincée avec mes vieux, mais comme mon père lui faisait confiance, ils me laissaient sortir avec lui ! Je me rendais bien compte qu’il était un peu amoureux de moi… mais j’aurai jamais imaginé qu’il soit si collant !

Bon, il était un peu bizarre avec ses costumes à paillettes et ses cheveux blonds permanentés, mais il était sympa ! Et puis, il fallait le voir quand il dansait sur la piste… ça, on peut pas lui enlever : il était sacrément doué ! D’ailleurs, il y avait toujours quatre ou cinq filles qui se trémoussaient derrière lui !

Un soir, en rentrant d’une soirée qu’on avait pas mal arrosée en dansant sur une musique américaine, j’ai fait l’erreur de me laisser embobinée par ses mots doux et tous ses Sha la la… Vous savez comment il m’a emballée ? En me disant que j’étais belle, belle, belle, comme le jour !

Et oui, c’est comme ça que l’on s’est aimé !!! D’accord, je devais pas être loin des trois grammes …



Depuis, chaque année, pour être sûr que je n’oublie pas, il m’envoie des fleurs à cette date. Toujours les mêmes : des magnolias, avec deux mots notés sur une carte : « For ever ». Le bouquet finit invariablement au bureau (faut pas gâcher, quand même) et la carte dans la poubelle.



Il nous aime ?!? Mais il va finir par lui faire peur avec ses conneries ! Et allez ! Maintenant, il pleure … il me saoule avec son numéro de chanteur malheureux, que les gens n’aiment plus …

Voilà ! Impossible de tracer correctement mon trait d’Eye-liner ! Allez, j’enlève tout ça, ce soir c’est nature : il parait que c’est tendance ! Oh là là ! Ça sonne à l’interphone !

Ma mère répond puis m’appelle : « Belinda ? C’est ta copine, elle t’attend en bas».



Je suis en retard : comme d’habitude ! Je m’habille très vite, je sors de la chambre : comme d’habitude ! En passant au salon, je pose un baiser sur les cheveux de ma fille et lui rappelle que son père sera là dans une heure, quand il aura terminé son service à l’hôpital. Elle tente de me passer le combiné mais je lui réponds à mi-voix : « je suis partie, alors tant pis ! ». Je l’entends lui dire « au-revoir », ouf ! Il raccroche enfin, et j’espère que cette fois, il aura compris !



J’embrasse ma mère et je file…

Je descends les trois étages, je m’engouffre dans la voiture et m’affale sur le siège… Ouf !

Alex me regarde : « Ben t’en fais une tête ! Allez, ce soir, oublies tes soucis : je t’amène au cinéma, on va voir CLOCLO ! »

Myriam