Destination : 196 , Ai11eurs : une autre réalité


Myriam // mairyM

Lorsque je me levai, ce matin-là, je ne perçus tout d’abord aucune différence avec les autres jours. Comme d’habitude, les premiers rayons du soleil m’avaient tirée du sommeil et j’étais sortie du lit comme une automate. Je m’étais habillée, puis avais attaché mes cheveux en un rapide chignon sur la nuque avant de descendre l’escalier pour aller prendre mon petit déjeuner.



C’est en ouvrant les volets de la cuisine que le changement m’avait saisie :

il n’y avait pas un bruit. Aucun chant d’oiseau ne troublait la fraicheur de cette belle matinée d’été ; aucune vache n’appelait son petit dans le pré du voisin ; aucune machine agricole ne faisait entendre son ronronnement mécanique dans les champs alentours. Surprise, j’étais rentrée dans la cuisine pour m’apercevoir qu’il en était de même : le frigo, habituellement si bruyant, était aujourd’hui parfaitement silencieux et aucun tintement d’entrechoc ne parvint à mes oreilles lorsque j’attrapai dans les placards les bols et couverts du petit-déjeuner. Mon inquiétude se mua en panique :

étais-je devenue complètement sourde en dormant ? C’est alors qu’une petite voix résonna en moi. Je dis bien « en moi » et non pas « à mes oreilles » car, après-coup, c’est exactement ce qu’ai eu l’impression de vivre. Donc la petite voix fluette m’interpella, disant « J’ai faim ». Je me retournai, soulagée, m’attendant à voir une de mes filles mais il n’y avait personne.

Etais-je en train de devenir folle ? Je commençai de me poser la question quand je perçus de nouveau la voix qui réclamait à manger. Je vis alors le chat, mon chat, tranquillement installé sur le seuil de la porte restée ouverte. J’ouvris la bouche mais aucun son n’en sortit tandis que j’articulai ma question : « Moustache, c’est toi qui me parle ? ». « Evidemment, c’est moi ! C’est l’heure de mon repas… ».



Abasourdie, j’attrapai le sac de croquette à gauche de… non. Le sac était maintenant à droite de la poubelle. A cet instant, je pris conscience d’un autre phénomène, encore plus troublant : autour de moi, tout était inversé.

Les choses étaient à leur place précise, mais exactement à l’envers.



Je sursautai en « entendant » (ce n’est pas le mot, car mes oreilles ne percevaient toujours aucun son) derrière moi une « voix » qui me sembla familière : « Bonjour, as-tu bien dormi ? ». C’était mon compagnon… enfin, c’était lui et en même temps, ce n’était pas lui. C’était son visage, son corps, mais chez lui aussi, tout était inversé. Et, pour me « parler », il n’avait pas ouvert la bouche une seule fois.



Je restai immobile, pétrifiée par l’étrangeté de la situation. Je ne savais plus que croire : avais-je subitement perdu la raison ? Où bien, est-ce que j’étais folle avant, sans m’en rendre compte ? Ou alors, et cela me sembla le plus vraisemblable, j’étais simplement en train de rêver…



Je décidai donc de remonter me coucher, convaincue que, si je me rendormais, je me réveillerais dans mon vrai « chez moi ». Je m’allongeai dans le lit et fermai les yeux, cherchant le sommeil. Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées quand, de nouveau, une petite voix m’interpella : « Maman, t’es encore au dodo ? ». Ouvrant les yeux, j’aperçus ma petite dernière, debout au pied de mon lit et trainant son doudou à la main. Dès l’instant où je la vis, je sus que ce n’était pas elle. Je ne pus m’empêche d’avoir un mouvement de recul pour ce clone parfait, et l’enfant apeurée se mit à pleurer. Ses larmes me bouleversèrent, et je la pris dans mes bras pour la consoler. C’était incroyable ! Sa peau, son odeur étaient les mêmes que celles de ma fille. Avais-je rêvé ma vie d’avant ? Etait-ce ma fille et n’étais-je plus capable de la reconnaître ?



A ce moment-là, « mon fils » entra dans la chambre en râlant : « je ne sais pas ce qu’ils ont ce matin, ils font encore plus de bazar que les autres jours ! ». Je lui demandai « Mais de qui parles-tu ?», car moi, je n’entendais strictement rien. « Ben, ceux de la salle-de-bain ! », me répondit-il en haussant les épaules.



Prise d’un espoir complètement fou, je me ruais vers la salle-de-bain, « mes » enfants sur les talons. Je regardai « mon » reflet dans le miroir, il reflétait parfaitement l’état de panique dans lequel «je » me trouvais. Mais derrière lui, contrairement à moi, je distinguais des bruits assourdis et des voix, celles de mes enfants ! Je penchai ma tête jusqu’à ce que nos fronts se touchent, et un éclair aveuglant me fit fermer les yeux, tandis qu’une petite décharge électrique me faisait sursauter. Je reculai précipitamment en lâchant un « Aïe » sonore qui résonna délicieusement à mes oreilles. Mes enfants m’entourèrent et je ne pus contenir mon bonheur en voyant la bouche de ma cadette, elle aussi réveillée, s’ouvrir pour me demander si je m’étais fait mal. Je fis un rapide tour de la maison pour vérifier que tout était à sa place, et dans le bon sens ! J’étais revenue chez moi ! Je revins vers le miroir, et adressai un petit clin d’œil complice à mon reflet qui me le rendit avec enthousiasme. Puis chacune de nous repartit vaquer à ses occupations…

Myriam