Destination : 176 , Destination durable


Le retour de l'Incroyable Hulk...

Antoine était un parfait citoyen éco-responsable.



Quand il venait en week-end chez ses parents, dans leur petite ferme du Sud de la France envahie par le lierre, il ne pouvait s’empêcher de se disputer violemment avec son père sur l’utilisation des pesticides et autres engrais dans les cultures, responsables de la disparition des abeilles et des coquelicots. Alors, pour mettre fin à ses querelles stériles qui lui déclenchait des maux de têtes carabinés, Antoine a décidé d’aller passer ses fins de semaine ailleurs.



Antoine ne prenait jamais le risque d’acheter un abricot sur le marché au banal petit producteur local. Par sécurité, il préférait aller chez Edouard pour acheter du bio. Tant pis si les fruits étaient acides et rabougris, cueillis encore verts et placés dans des frigos pour être conservés avant d’être transportés sur plusieurs centaines de kilomètres : au moins, il pouvait manger la peau (c’est là que sont toutes les vitamines) sans risquer d’attraper des hémorroïdes.



Antoine mangeait sainement. Il faisait cuire ses légumes dans son « cuiseur-vapeur » automatique, il faisait germer ses graines dans son « germinateur » et il cuisait lui-même son pain, qu’il avait d’abord longuement pétri dans la belle machine à pain qu’il s’était offert au dernier noël. Le pain carré et plus bourratif qu’un étouffe-chrétien ne contenait aucun conservateur et ne lui déclencherait pas d’ulcère à l’estomac. D’ailleurs, c’était décidé : l’année prochaine il allait investir dans une yaourtière.



Antoine ne possédait pas de voiture. Il se rendait à son travail en vélo, utilisait les transports en commun pour faire ses courses et se déplaçait à pied pour aller chez son médecin. En pratiquant ainsi l’équivalent d’une demi-heure de marche par jour, il était sur de ne pas devenir obèse. Pour ne pas risquer non plus d’attraper un cancer des poumons en respirant les gaz d’échappement, il ne sortait pas sans son masque de protection sur le visage. Il ne pouvait parler à personne mais personne ne cherchait non plus à le faire, craignant qu’il ne soit porteur de quelque maladie chronique particulièrement contagieuse.

Antoine se sentait avant tout citoyen du monde, et était partisan d’une économie solidaire avec les pays les plus défavorisés. Ainsi il achetait des produits du commerce équitable (mais cela ne concernait pas les produits fabriqués en France) et s’envolait deux ou trois fois par an vers l’Afrique et son désert pour y découvrir des civilisations différentes, plus proches de la nature et vivant en meilleure harmonie avec la planète. Il ramenait de ces itinéraires des centaines de photos numériques d’animaux sauvages qui lui fournissaient un fabuleux bestiaire.



Antoine fuyait la maladie car il ne voulait pas prendre de médicaments. En effet, il avait découvert que les industries pharmaceutiques étaient les mêmes que celles qui fabriquaient les poisons chimiques déversées dans les cultures et donc, dans nos assiettes. Il ne voulait pas non plus risquer d’être victime des nombreux effets secondaires présentés sur la notice. Il se soignait donc avec des plantes et, pour ne pas prendre de risques inconsidérés, il faisait chaque année le vaccin de la grippe.



Antoine ne supportait pas le gaspillage. Il recyclait tout, ne jetait rien et stockait entre les murs de son studio une multitude d’objets hétéroclites qui pourraient (c’est sûr !) resservir un jour : journaux, cartons, bouteilles en verre ou en plastique, pots de yaourt, linge et vêtements usés… sa chambre était un fabuleux capharnaüm, dans lequel Dieu lui-même aurait été incapable de retrouver ses chaussettes (à condition qu’il en porte, bien sur !). Evidemment, dans ces conditions, impossible d’inviter qui que ce soit : ni copain, ni petite amie. D’ailleurs, il n’en avait pas.



Soucieux de la nature et des arbres, Antoine n’écrivait jamais de lettre et n’achetait jamais de journaux. Il lisait la presse en ligne, directement sur Internet. Il passait des heures sur les réseaux sociaux à échanger des messages avec sa cousine, une jolie poupée qui vivait sur l’île de Manhattan, à New-York, où elle interprétait des chansons françaises dans un bar, le « French Surprise ».



Antoine était vraiment un parfait citoyen éco-responsable.



Même s’il était fâché avec sa famille, ne mangeait jamais en-dehors de chez lui, ne sortait quasiment pas, avait peur de tout et ne parlait à personne. Il était en quelque sorte devenu un monstre.



Mais un monstre vert !

Myriam