Destination : 333 , 2 Novembre


Equinoxe

* Ce texte fait suite à celui proposé pour la destination 296 et intitulé "Solstice"



Il y avait maintenant quatre lunes qu’il s’était endormi là, dans ce cercle de pierres pour moitié effondrées et recouvertes de mousse. Les fougères avaient peu à peu posé leurs feuilles sur son corps froid, le recouvrant d’un linceul de verdure. Au cours de l’été, la nature avait repris ce qui lui appartenait et, à l’approche du solstice, cela faisait longtemps qu’il ne restait plus rien de lui dans la clairière. Rien de perceptible. Parce que son esprit, lui attendait, sagement endormi sous la terre ancestrale.

Lorsqu’il était enfant, lorsque ses parents pratiquaient encore les anciens rites, ils lui avaient expliqué l’importance de cette nuit-là, qui marquait à la fois le début et la fin de chaque année, n’appartenant plus à celle qui s’achevait et pas encore à la prochaine. Cette nuit-là, hors du temps des hommes, était ouvert aux trois mondes : celui des hommes, celui des morts, celui des esprits. C’était une nuit de passage entre la saison claire et la saison sombre. Les fêtes duraient alors plusieurs jours : d’abord pour célébrer les esprits, ensuite pour la mémoire des morts. D’une certaine façon, c’est ce que la nouvelle religion continuait de faire, à sa façon, pour perpétuer les rites hérités depuis les profondeurs des âges.

Lorsqu’il était enfant, il aimait aider ses parents à préparer les offrandes, de la nourriture, des petits cadeaux, répartis dans le cercle de pierre par les prêtres et les prêtresses pour honorer les morts et les esprits. Il aimait ce rituel un peu effrayant et la cérémonie de la renaissance du feu. Son père, comme tous les hommes du village, éteignait le feu dans l’âtre à la tombée de la nuit. Puis tous se retrouvaient, dans le cercle de pierre pour assister à la résurrection du feu sacré. Chaque famille repartait ensuite avec quelques braises pour rallumer le feu dans l’âtre de sa maison. Ce feu assurait la protection du foyer tout au long de l’année, il ne devait jamais s’éteindre.

Lorsqu’il était enfant, il imaginait que les ancêtres et les esprits se retrouvaient au cœur de la nuit, dans ce même cercle de pierre, après le départ des vivants. Il se plaisait à penser que tous discutaient et se réjouissaient de ce moment festif, attendris par les marques d’attentions et les souvenirs qu’avaient laissé les villageois pour eux.

Aujourd’hui, il ne savait plus que croire. Il avait choisi de vivre son grand sommeil à cet endroit, un peu pour y retrouver la chaleur maternelle des souvenirs d’enfance. Personne ne connaissait plus les anciens gestes, il n’attendait donc aucune offrande.

Pourtant, alors que le soleil venait juste de se coucher, il aperçut une silhouette gracile se faufilant dans la pénombre. Elle pénétra dans le cercle de pierre et s’arrêta, perdue. Il reconnue sa petite fille, la plus âgée, d’une quinzaine d’années à peine. Il se souvenait lui avoir parlé parfois, secrètement, de ces festivités ancestrales. Elle aimait lui poser des questions sur son enfance et lui, le vieil homme, aimait à faire revivre le passé pour ses oreilles enfantines. C’était elle qui était venue cette nuit. Elle ouvrit son tablier dans lequel elle avait dissimulé quelques châtaignes grillées (sa gourmandise), un morceau de pain avec du fromage, ainsi qu’un collier de glands percés. Ne sachant où et comment s’y prendre, elle choisit de se mettre face au soleil couchant, tournant le dos sans le savoir au lieu de repos de son aïeul. Elle gratta la terre et disposa quelques morceaux de bois au centre d’un petit foyer. Puis, à l’aide d’une pierre à feu et de paille sèche, elle réussit à faire partir un feu. Elle resta quelques minutes accroupie, regardant les flammes danser dans la nuit. Elle disposa ses cadeaux devant le feu puis dit en se relevant : « Au revoir, l’ancien. Je ne sais pas où tu es, mais je sais que tu es venu ici. Bon voyage… ». Et elle partit rejoindre le village où l’attendait sa famille. Pour d’éclairer sur le chemin, elle prit une braise, elle s’en servirait aussi pour allumer la cheminée chez elle.

L’ancien était tout ému par les gestes et les paroles de sa petite. Elle ne l’avait pas oublié, elle ne lui en voulait pas de sa disparition volontaire. Tandis que la lune montait dans le ciel, son esprit s’élevait dans la clairière. Il s’aperçut alors qu’il n’était pas seul. Il y avait là ses parents, sa petite sœur qui était morte alors qu’elle n’était qu’un bébé, sa grand-mère, des anciens voisins dont il gardait un souvenir plus ou moins précis, et des dizaines d’autres personnes qu’il ne connaissait pas. Tous lui sourirent. Ils étaient là pour lui, ils étaient venus le chercher.

Quand le soleil se leva, le petit feu était éteint. Le vent faisait virevolter les cendres, les éparpillant çà et là. Il avait enfin terminé son voyage.

Myriam