Destination : 227 , Puzzle


Instantanés

ÉTÉ 63

Des enfants courent et rient dans la rue. Lui, il les observe depuis sa fenêtre. Comme il aimerait pouvoir jouer avec eux ! Mais il est trop petit, c’est dangereux, les grands pourraient lui faire mal. C’est sa mère qui le lui a dit. Elle ne veut pas qu’il lui arrive quoi que ce soit. Alors il doit rester dans la maison, toujours. Il laisse tomber le rideau en entendant la petite voix qui l’appelle. Il se retourne et se dirige en soupirant vers la chambre parentale.



UN LIQUIDE JAUNE

Un nouveau matin humide et la honte de se réveiller dans des draps mouillés. Mais cela ne dure pas car, rapidement, c’est la peur qui le submerge. Celle de la raclée qu’il va recevoir. Avec en prime la corvée de nettoyage des draps et de son pyjamas. Sa mère n’est plus là pour l’aider, ni le protéger. D’ailleurs, avant, cela ne lui arrivait jamais. Tout a commencé après son départ. Pourquoi l’a-t-elle abandonné ? Pourquoi ne l’a-t-elle pas emmené avec elle ?



LE CHIEN

Quel sentiment de puissance ! Il n’en revient pas… Ce pauvre petit chien non plus…Bah, il n’était à personne, de toute façon ! Et puis, il ne faisait que gémir. Voilà, ça l’a énervé. Il l’a bien cherché. Au fond de lui, il sait que ce n’est pas vrai. Il voulait juste voir ce que ça faisait de faire mal. Alors il a attaché le chiot à un arbre, derrière la grange. Cet idiot remuait la queue ! Et il a cogné, de toutes ses forces. Quand il a eu trop mal aux mains, il a continué avec un bâton.



ROBE JAUNE

Elle porte une robe jaune sur la photo. Elle est jeune et sourit devant l’objectif. Son ventre est rond et lourd. Elle semble heureuse. Alors pourquoi tant de malheur ensuite ? Pourquoi n’est-il pas né et grandi dans ce havre de paix qu’il devine sur la photo. C’est la seule photo qu’il a de sa mère. Il l’aime autant qu’il la déteste. Tant de bonheur sans lui, avant lui. Est-ce lui qui lui a porté malheur ? Est-ce que c’est à cause de lui qu’elle est partie ?



LE TABAC

L’odeur de tabac est épouvantable. Levé depuis l’aube, le corps meurtri, il observe dans la cuisine son père qui ronfle sur la table après une nouvelle nuit de beuverie. La crise d’hier soir a été d’une rare violence. Les coups se sont succédés. Mais, plus encore que la douleur physique, ce sont les mots qui lui ont fait le plus mal. Les derniers qu’il ait entendu avant de s’évanouir : « Crève, batard ! Va rejoindre ta pute de mère au cimetière ! »



LE CAFÉ DES PALMES

C’est là qu’il est allé tout de suite, pour savoir. Maintenant, il avait besoin de connaitre la vérité. Le nom inscrit derrière la photo. Avec une date, 1953, celle de sa naissance. Là-bas il a retrouvé une vieille dame. Sa grand-mère, la mère de sa mère. Il ne l’avait jamais rencontrée. D’abord elle ne l’a pas cru. Alors il lui a montré la photo de la jeune femme à la robe jaune. Elle s’est mise à pleurer avant de tout lui raconter.



LA FUGUE

Une enfance heureuse, une jeunesse insouciante, une grossesse, un mari qui disparait dans un accident quelques jours avant l’accouchement. La rencontre avec l’autre alors que l’enfant n’a que deux ans, elle s’accroche à cet homme comme à une bouée malgré les avertissements de la famille, alors elle s’enfuit, elle coupe les ponts. Pas de nouvelles pendant des mois jusqu’à ce coup de téléphone : elle est morte, l’enfant a disparu. Le temps passe, l’espoir de le revoir un jour s’envole.



LE PAYSAGE

Toutes ces années de mensonge. Lui faire croire qu’elle n’est pas morte, le maintenir dans l’espoir qu’elle pourrait revenir tout en lui répétant que c’est à cause de lui qu’elle est partie, parce qu’il est mauvais. La peur de son enfance cède la place à la colère, la colère devient douleur. La douleur explose en une bourrasque violente avant de refroidir lentement. Lentement mais sûrement, il trouve le chemin. Celui de sa paix intérieure. Il sera violent.



LES FOURMIS

Une ligne de fourmis court sur la petite tombe abandonnée au fond du cimetière. Il a retrouvé sa mère. Onze ans d’absence, à croire qu’elle se trouvait au bout du monde alors qu’elle était juste à côté de chez lui. Il voudrait pleurer, verser toutes les larmes retenues depuis si longtemps. Mais il ne peut pas. Il apporte son offrande, sous la lumière de la lune : une main. La main qui l’a tuée, la main qui l’a trahie, la main de celui qui les a séparés. Il ne pourra plus faire de mal à personne.



LA TASSE BLEUE

Un grand bol de chocolat chaud. Comme un gout d’enfance. Un gout de liberté. Qui commencerait enfin. Il va remonter le fil de son existence et s’affranchir de tous ceux qui n’ont pas su, pas voulu, pas eu envie de les aider, sa mère et lui. Il va se venger de toutes ces années de violence et d’humiliation, de toutes ces années de souffrance et de solitude, écrasé par le sentiment d’être un parasite. Maintenant, il se sent fort.



* Ce texte est un complément à celui que j'ai rédigé dans le cadre de la destination 211 "Photos-Maton".

Myriam