Destination : 261 , Collectionnite


Les C.A.A.

- Bonjour… bienvenue parmi nous. Nous savons tous ici, anciens comme nouveaux, à quel point il est difficile de faire une telle démarche ; à quel point il est difficile d’accepter de quitter son armure pour se livrer ; à quel point le chemin sera ardu. Mais croyez-moi, il n’y aura pas que des difficultés. La première des choses à prendre en compte, c’est que VOUS n’êtes pas seuls. La preuve ? regardez autour de vous… combien sommes-nous ce soir, réunis ici ? La deuxième chose, c’est que vous avez fait le plus difficile : accepter de venir ici, c’est accepter l’idée qu’on en ait besoin et que donc, il y a un problème. Enfin, la dernière chose est que, désormais, vous ne serez jamais seuls. A chaque étape de votre parcours, nous serons là : tous les mercredis, à la même heure, à cette même adresse, vous trouverez des membres de notre groupe prêt à vous écouter, à vous épauler, à vous encourager. Nous allons maintenant démarrer la séance… qui veut commencer ?

- …

- Personne ?

- … heu… si, moi, je veux bien…

- Ah ! Nicole ! Merci… peux-tu te présenter et expliquer ton parcours pour les nouveaux venus, s’il te plait ?

- Oui… bon alors, bonjour, je m’appelle Nicole, j’ai 54 ans, je suis infirmière et je travaille de nuit. Je suis venue ici parce que… bon au début, je savais pas trop,… enfin, si, je savais pourquoi je venais mais je ne savais pas si j’étais à la bonne adresse… alors voilà, … je collectionne les … mésaventures. Je sais, ça fait drôle d’entendre ça mais c’est pourtant vrai. Depuis que je suis toute petite, s’il doit arriver quelque chose, c’est à moi. Par exemple, le jour de mon entrée au collège, le bus scolaire a perdu une roue. Le jour du bac, j’ai trébuché en entrant dans la salle d’examen et je suis tombée sur le surveillant qui s’est cassé la jambe. Le jour où j’ai passé le permis, un poids lourd s’est renversé sur la route et j’ai été coincée deux heures, dans la voiture, avec l’examinateur. Des comme ça, je pourrai vous en raconter à la pelle… comme le jour de mon mariage, quand le prêtre s’est évanoui en pleine cérémonie ; le jour de l’accouchement de mon second, quand l’hôpital tout entier a eu une panne d’électricité. Alors, ce qu’il y a, c’est que ce n’est pas du systématique. La plupart du temps, il ne se passe rien, c’est le calme plat, la vie ordinaire. Mais quand il arrive quelque chose, c’est toujours phénoménal !!!

- Merci Nicole… et tu viens ici depuis combien de temps ?

- Oh cela fait… presque 11 mois maintenant. Bien sûr, ça n’a rien changé à mon problème, comment voulez-vous agir là-dessus ? Par contre, j’apprends petit à petit à accepter ma différence, à vivre avec et même, parfois, il m’arrive d’en rire. Je me suis rendu compte en effet qu’il n’y avait jamais de conséquences graves. C’est comme si, là-haut, il y avait quelqu’un ou quelque chose qui me faisait des petites blagues, histoire de s’amuser un peu et de pimenter mon quotidien.

- Un esprit farceur, en quelque sorte ! Merci Nicole, et bonne continuation sur ta route. Qui veut prendre la parole à présent ?... Monsieur ?

- Oui…Hum ! pardon, oui, je veux bien parler de moi. C’est la première fois que je viens…

- Et nous sommes ravis de vous recevoir. Voulez-vous bien vous présenter et nous parler de votre situation ?

- Oui… je m’appelle Jean-Claude, j’ai 42 ans, je suis cadre dans une petite entreprise de la ville et… je collectionne les conquêtes.

- Pardonnez-moi de vous interrompre, Jean-Claude, mais avez-vous déjà parlé de votre problème dans un groupe d’addicts ? Parce que, le Don Juanisme est considéré comme une addiction, vous le savez peut-être…

- Oui, bien sûr, je sais… mais je me suis mal exprimé. Je collectionne les conquêtes… toutes les conquêtes ! Conquêtes amoureuses, cela va de soi, mais aussi conquêtes des sommets, conquêtes des étoiles, conquête de l’ouest, conquête de l’espace et même… les conquêtes sociales…

- Je ne saisis pas bien ce que vous voulez dire par là ?

- Eh bien, chaque fois que j’entends une expression contenant le mot « conquête » ou le verbe « conquérir », c’est plus fort que moi : il faut que je m’approprie l’idée et je me plonge corps et âme dans tout ce qui la concerne. Par exemple, quand je suis tombé dans l’espace, j’avais 15 ans, j’ai passé mes jours et mes nuits à lire, chercher, apprendre tout ce qui concernait le monde spatial. Et chaque fois, c’est comme ça. Je n’arrive à lâcher un sujet que lorsqu’un autre apparait…

- Mais c’est très enrichissant au fond, Jean-Claude ! Vous devez avoir une érudition et une culture extraordinaire !

- Oui, c’est exact…

- Mais alors quel est le problème ?

- Le problème… en fait, cela a à voir avec ma nouvelle obsession…

- Qui est… ?

- … la conquête… Du bonheur… Et, pour cela, il faut que j’arrive à garder ma femme. Parce qu’elle en a marre de mes marottes, de mes lubies, de mes nuits à veiller et de mes journées à dormir debout… et que, si je ne me soigne pas, elle s’en va avec mon fils. Parce que lui aussi, il en a marre. Il aimerait que je passe plus de temps avec lui… Et moi, malgré toutes les femmes que je ne peux m’empêcher de séduire, il n’y en a qu’une qui compte vraiment et c’est la mienne, et je ne veux pas la perdre. Mais je ne sais pas comment faire…

- Excuse-moi… Jean-Claude… Je suis Yves, j’ai 53 ans et je viens ici depuis presque deux ans. Je trouve ton histoire très touchante et très proche de la mienne… et ce que je voudrai dire c’est que tu as forcément la solution en toi pour t’en sortir. Nous on peut juste te raconter comment on a fait mais ce n’est pas dit que ça marche pour toi aussi…

- En fait, il faudrait que je trouve une conquête qui soit compatible avec ma vie ? Mais alors, je ne serai jamais vraiment guéri…

- C’est possible… ou alors une autre solution ?

- Laquelle ? Tu penses à quelque chose ?

- Et si tu collectionnais les conquêtes sur toi-même ? C’est-à-dire tous les moments où tu arriveras à ne pas céder à ton esprit de conquête ? Un peu comme le serpent qui se mord la queue… mais qui du coup, ne fait plus de mal à personne !!!

- Quelle idée incroyable ! Je ne sais pas si c’en est une bonne ou pas, mais je vais essayer. Merci, merci à tous !

- Merci à toi Jean-Claude et merci à vous tous car il est maintenant l’heure de nous quitter. Je vous souhaite une belle continuation et vous propose, si vous le voulez bien, de nous retrouver ici, à la même heure, la semaine prochaine. Au-revoir !

Myriam