Destination : 299 , Echos en barque


La Barque Chavirée

CHAPITRE 1 - LES AMOUREUX

Ils avaient attendu cinq ans… Cinq ans, entre leur première rencontre et le jour de leur mariage. Le père, qui chérissait la fille, avait d’abord vu d’un mauvais œil cette idylle : elle était bien trop jeune - seulement 14 ans - et lui, déjà un homme de 21 ans ! Mais leur amour avait tenu, bravé les tempêtes, évité les écueils, gardé le cap. Ils s’étaient donc mariés. Un mariage d’amour, fait de bonheur et d’eau fraiche ; un amour fait pour durer toujours… et qui fit naufrage brutalement seulement six mois plus tard. Ce jour-là, la famille en goguette décide de flâner sur la rivière. Une charmante promenade pour nos amoureux charmants. La barque vogue sur la Seine, lentement, si lentement, car le vent est fainéant, le vent souffle paresseusement. Mais soudain, le vent nonchalant trépigne et caprice et d’un tourbillon brutal, s’abat sur la voile. Le canot se renverse. Les passagers sont coincés dessous. Tous sauf lui, lui qui sait nager, lui qui remonte à la surface. Il replonge une fois, deux fois, trois fois pour essayer de la sauver elle. Mais elle s’accroche comme le font les noyés, avec l’énergie du désespoir. Il replonge à nouveau une quatrième fois, puis une cinquième. Comprenant qu’il ne la ramènera pas, il plonge une dernière fois et ne remonte pas.



CHAPITRE 2 - LES ANONYMES

La mer est noire comme est noire la nuit qui les entoure. Les vagues montent tandis que gronde la tempête. Ils sont partis depuis mille ans, c’était il y a à peine trois heures. Entassés dans un canot de fortune, ils se serrent sans se connaitre, les uns contre les autres, les uns parmi les autres. Ils ne savent plus qui ils sont, ils ne savent plus d’où ils viennent, ils ne savent plus comment tout cela a commencé. La peur a rongé leur espérance, dernière étincelle de vie qu’ils conservaient comme un trésor caché au fond de leurs cœurs. Autour d’eux, les vagues se succèdent, vagues déchaînées, vagues endiablées, vagues blanches de rage et d’écume. Une lame plus haute et plus violente encore que les précédentes se dresse soudain devant eux, comme un mur aquatique et mouvant qui fait trembler leur embarcation. Elle semble hésiter un instant devant le frêle festin qui s’offre à elle… Il est bien maigre ce rafiot, rien à voir avec les navires qu’elle a déjà dévoré par centaines ! Des centaines d’yeux terrifiés la regardent, des centaines de bouches murmurent une ultime prière, une ultime supplication. Mais il est trop tard. Emportée par son élan, la lame retombe dans un fracas monstrueux. La barque se soulève, se retourne, retombe. Le silence revient.



CHAPITRE 3 – L’ENFANT

L’enfant s’est levé tôt, il voulait être le premier, en ce premier jour de vacances. Enfin l’été était là, enfin il allait pouvoir musarder, courir, galoper dans les bois. Enfin, il ne serait plus prisonnier de la classe triste et maussade, ni du regard sévère du maître sur ses éternelles étourderies. Qui pouvait-il, lui, si les leçons d’orthographe et de calcul lui paraissaient un dialecte étrange et insaisissable… au moins autant que la truite du torrent qu’il avait désespérément essayé de pêcher aux dernières vacances. Mais cette année, elle ne lui échapperait pas ! Il était grand maintenant ; bientôt, il n’ira plus à l’école pour aider à la bergerie. Mais pour l’heure, adieu les chèvres, bonjour la falaise ! Bonjour, le petit chemin qui monte en serpentant ; bonjour les grands sapins, les fougères, les ancolies. Bonjour ma clairière et bonjour toi, petite barque fidèle. L’embarcation, taillée dans un bois rustique, est solide et solidement arrimée au bord de l’eau. Interdiction de la détacher, la règle du père est ferme et définitive. L’enfant grimpe prestement, dans l’enthousiasme de ses 10 ans il ne voit pas que la corde a été rongée… la barque tremble sous son poids et semble bondir en avant. Prise dans le courant, elle tourbillonne et son passager rebondit d’un côté sur l’autre. Sa tête heurte un bord, puis l’autre et les coups répétés l’assomment tandis que la barque affolée continue sa course. Quand la coque explose contre un rocher, il n’a même pas le temps de réagir. Sa dernière pensée est que chez lui, personne ne s’inquiètera avant de longues heures.

Myriam