Destination : 15 , Changer de vie !


La crise de la Cinquantaine / Lettre

Miss B.

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À l’attention de : Monsieur Michel Grandmougin (Président de l’association « Peuples solidaires », France)



Objet : Perspectives pour un changement de vie.





Monsieur,



Après un demi-siècle d’activités ininterrompues, cumulant parfois des fonctions très diverses (mais oh combien enrichissantes !), j’aspire désormais à un peu de repos. Une retraite, certes méritée après mes bons et loyaux services, rendus sans jamais me départir de mon sourire désormais légendaire, me semble être une bonne idée, à condition toutefois qu’elle reste active et fructueuse.



À plus de 50 ans, certains journalistes se réjouissent déjà de me voir baisser dans le top-business et prédisent (un peu vite peut-être) ma disparition prochaine. Mais ce n’est pas la première fois que j’ai à subir les critiques des médias, à dire vrai, je pense que dès ma première apparition, j’ai été source de polémiques. Songez, à la fin des années cinquante, une femme seule (c’est-à-dire sans mari, je n’ai rencontré le mien que deux ans plus tard) puis, plus tard, une femme libre (c’est-à-dire ne restant pas au foyer pour s’occuper des enfants et de la maison) et enfin, une femme d’affaire (c’est-à-dire exerçant autre chose que les métiers de secrétaire, infirmière ou caissière) : j’en ai fait bondir plus d’un !

Ne croyez pas pour autant que les féministes m’aient ouvert leurs bras en grands, bien au contraire ! Combien d’entre elles n’ont vu en moi qu’un corps, reflet de fantasmes masculins, alors que j’ai aussi contribué à promouvoir, pour les femmes, la liberté d’étudier (j’ai été diplômée d’université en 1963 puis professeur deux ans plus tard), de travailler dans des domaines jusque-là majoritairement masculins (Chirurgien en 1973) ou même d’oser rêver et de se dire que c’est possible.

Il est vrai que je n’ai jamais rechigné à me présenter au public vêtue de grandes robes à frou-frou, aux tons pastels ou acidulés, contribuant à faire de moi une icône de la mode à paillette. Mais que serait la vie sans une part d’imaginaire ? Combien de femmes au monde peuvent jurer n’avoir jamais rêvé un jour, petite fille, en écoutant des histoires de princesses, tout en sachant bien que ce n’était justement qu’une histoire ? Cette part de ma vie, peut-être pas la plus intelligente, est cependant celle qui m’a connaitre et reconnaitre partout dans le monde, et je ne la renie pas.



Mais aujourd’hui, je l’avoue humblement, je m’essouffle un peu. Et je suis tentée de laisser la place à d’autres, plus jeunes, plus incisifs, plus interactifs. Que m’importe de ne plus être la première ? Au final, je me contenterai sans peine de projets plus ambitieux mais moins commerciaux, comme celui de 1989, à l’occasion de l’anniversaire du film « Autant en emporte le vent » ou encore certains hommages à des grandes stars hollywoodiennes (Marylin Monroe, Elizabeth Taylor, Grace Kelly et tant d’autres) ou à des collections cinématographiques. Je serai également toujours ravie de me prêter, de temps en temps, au jeu des défilés de grands créateurs, comme Givenchy (1998), Karl Lagerfiel (2009), Yves Saint-Laurent, Jean-Paul Gauthier ou, plus récemment, Christian Louboutin.



Cependant, ce que je souhaite le plus ardemment est de poser, enfin, mes pieds à plat sur le sol ; de baisser le menton pour ne plus avoir ce port altier et hautain (très utile dans le « business word » mais tellement inconfortable et douloureux !) et même de laisser ma taille et mes hanches s’épaissir un peu, ce qui, après tout, est le lot commun de toutes les femmes à partir d’un certain âge, même si comme moi elles pratiquent quotidiennement une activité sportive très variée.



Enfin, une fois ces métamorphoses opérées, je compte user et abuser de ma notoriété et de ma popularité pour me mettre au service de celles qui, depuis tout ce temps, ont contribué à façonné ma légende. Je parle de ces centaines d’ouvrières anonymes, enfermées six jours sur sept dans des usines dont nous ne connaissons l’existence qu’à travers un label universel, « Made in China ». Leurs conditions de travail sont misérables (une exploitation honteuse) et reflètent le mépris de ma maison-mère pour l’être humain, en regard des milliards de bénéfices que mon seul nom génère chaque année. C’est pourquoi, monsieur, je souhaite aujourd’hui me désolidariser de la ligne économique et de gestion des ressources humaines de mon entreprise pour devenir membre actif de votre association et contribuer, à ma mesure, à la lutte contre l’exploitation de ces femmes. Je crois pouvoir dire sans me tromper que mes multiples expériences très diversifiée me donnent de solides atouts pour mener à bien cette mission et devenir, je l’espère, à mon tour, une poupée solidaire.



En espérant que vous donnerez une suite favorable à ma demande, je vous remercie de l’attention que vous avez accordée à ma lettre et vous prie de croire, monsieur le président, en l’expression de mes salutations respectueuses,



Miss Barbie

Myriam