Destination : 192 , Un Jour neuf *


Une Place pour chaque Chose

Il y a dans ce monde une place pour chaque chose et quand chaque chose est à sa place, tout va bien. C’est normal. Sinon, on court à la catastrophe… Prenez la cuisine, par exemple.

Les cuillères à soupe, si vous les rangez n’importe comment, elles deviennent agressives et récalcitrantes. Il ne faut pas s’étonner ensuite d’en renverser le contenu au moment de le mettre en bouche. Voilà. La cuillère, fâchée de la position inconfortable dans laquelle elle a été laissée, se rebiffe et plaf ! Une belle étoile s’épanouit sur la serviette, façon tache d’encre du test de Rorschach. Il n’y a pas plus rancunier qu’une cuillère à soupe, croyez-moi. C’est pour ça qu’il faut les ranger bien serrées les unes contre les autres, dos à dos, en position de relaxation. Là, on est tranquille.

Quant aux fourchettes, ce sont les pires chipies que l’on puisse imaginer : de vraies mégères ménagères ! Avez-vous remarqué leur propension à se battre entre elles, comme des chiffonnières ? Elles se cherchent, se griffent à grands coups de dents et combien de fois les retrouve-t-on coincées, encastrées les unes dans les autres ? Hein, dites, combien de fois vous êtes-vous énervés en essayant de les séparer… et en plus, il faut faire attention que l’hypocrite ne se dégage pas d’un coup sec pour vous sauter dessus ! Voilà, c’est ça ; la fourchette, elle est teigneuse et hypocrite.

Les couteaux sont relativement sages, eux. Ils sont comme un grand-frère qui veille sur ce petit monde des couverts, conscient de son importance et de ses lourdes responsabilités. Conscient aussi de sa dangerosité. C’est pour cela qu’il faut bien faire attention de les ranger tous dans le même sens, pour ne pas se faire surprendre par une lame aiguisée. D’ailleurs, ça porte malheur de ranger les couteaux à l’envers. Si, si, c’est vrai, je vous jure. Le seul truc avec les couteaux, c’est qu’ils sont un peu orgueilleux. Peut-être à cause de leur place, dans le casier le plus grand ?

Les petites cuillères sont tristes d’être loin de leurs mamans, mais elles sont habituées à être placées dans la pouponnière du fond du tiroir. Un peu comme les enfants qui restent à la crèche pendant que les parents travaillent. Elles s’amusent entre elles, elles discutent, elles jouent à saute-mouton et elles font la sieste. Les cuillères à dessert, c’est un peu la grande section maternelle : on commence à se sentir grand, enfin, on n’est plus un bébé comme les cuillères à café. Sauf que chez les petites cuillères, on ne grandit jamais. Elles restent pour toujours des enfants.

C’est comme mélanger les torchons et les serviettes : tout simplement inconscient ! Pourquoi ne pas y ajouter tout le linge de maison tant que vous y êtes ? Vous imaginez le pauvre petit mouchoir de coton, coincé entre les draps de flanelle et la serviette en éponge ? Il va fondre en larmes en réclamant ses frères et sœurs… Les mouchoirs, les serviettes, les torchons, ils n’aiment pas être séparés de leur famille, c’est tout ! Ils n’ont pas le gout de l’aventure et de la découverte.

Pas comme les casseroles. Parce qu’elles, ce qui les éclate, c’est d’aller du placard à la cuisinière, de la cuisinière à l’évier, voire même au frigo quand il y a des restes pour plus tard. Et ce qu’elles aiment par-dessus tout, c’est d’aller trôner sur la table, confortablement installées sur un dessous de plat qui étouffe sous leur gros derrière. Par contre, le défaut des casseroles, c’est leur suffisance. Elles se croient les reines du bal, enfin de la cuisine. Faudrait ne regarder qu’elles… D’ailleurs, c’est toujours quand on tourne les yeux, à peine cinq secondes, qu’elles se vengent en faisant déborder le lait ou accrocher la sauce au fond. Et après, faut voir leur mine narquoise quand on frotte pour nettoyer !

Les poêles sont plus dociles mais bon, on ne peut pas toujours les utiliser, sinon cela finit par les fatiguer. Et quand la poêle est fatiguée, qu’est-ce qu’il se passe ? Je vous le donne en mille : elle déprime, nous fait un burn-out et résultat, elle accroche tout ce qui lui tombe dedans. En particulier les omelettes mais ne me demandez pas pourquoi, aucune poêle n’a jamais voulu m’expliquer. Ce qui montre qu’une poêle est gentille mais un poil susceptible.

Comment, je suis maniaque, moi ? Pff…. N’importe quoi… Je suis juste sensible à la personnalité des objets et soucieuse de leur bien-être. C’est tout à fait différent.

Myriam