Destination : 239 , Voix off et littérature augmentée


24 heures (Matin)

Nuit noire, rue déserte, température extérieure négative.

[Faut-il être dingue ou désespérée pour trainer avec soi cette valise encombrante ?]

La silhouette s’avance sous la lueur blafarde des néons de la ville, troublés par un épais brouillard. On ne devine pas grand-chose de cette ombre : est-ce un homme, une femme, un adolescent ? Le contraste entre l’ombre frêle et la lourde valise qu’elle tire derrière elle est, par contre, lui, tout à fait saisissant.



Au coin de la rue, les phares d’une voiture surgissent puis disparaissent dans la brume.

[Ou peut-être les deux ?]

Elle s’est figée un instant, le temps que la voiture disparaisse. Le conducteur, concentré sur la mauvaise visibilité, ne l’a même pas aperçue. Que craint-elle ? Que redoute-t-elle ? Cherche-t-elle à fuir ou à cacher quelque chose ? Après quelques minutes, elle reprend son chemin. Elle arrive à son tour au carrefour. Elle lève la tête, semble essayer de lire les panneaux puis secoue la tête.



Le vent agite les branches et jette à terre les dernières feuilles de l’automne.

[Cela dit, ce sont les évènements qui révèlent ce que nous sommes. Le meilleur comme le pire.]

Elle resserre un peu plus sa veste sur son corps et remonte une capuche sur sa tête. Elle traverse et continue sa route, tout droit. Est-elle égarée ? Suit-elle son chemin au hasard ? Ou au contraire, est-elle sûre de sa trajectoire ? Son pas est vif, alerte et si, tout à l’heure, elle a montré un léger flottement sur la direction à suivre, sa démarche ne présente maintenant aucun signe d’hésitation.



Un cri d’oiseau trouble le silence. Un autre lui répond, quelques mètres plus loin.

[Peu importe d’où l’on arrive, ce qui compte c’est le moment où l’on arrive. Je le savais, pourtant…]

Elle arrive à hauteur d’un arrêt de bus faiblement éclairé. Elle pose sa valise et consulte les horaires. Elle regarde sa montre, expire profondément puis s’assoit sur le banc. Elle sort une enveloppe de sa poche, la relit, laisse tomber sa main sur ses genoux, baisse la tête, reste immobile, fouille dans une autre poche, en sort un mouchoir, essuie son nez. Et ses yeux. La feuille glisse entre ses doigts.



Un bus arrive. Il s’arrête à hauteur de la silhouette. La porte s'ouvre dans un grincement caoutchouteux.

[Je n’aurais pas dû venir, je n’aurais pas dû. J’aurais mieux fait de rester à la maison. Où aller, maintenant ?]

L’espace d’un instant, le temps semble se figer. Les éclairages du bus jettent sur le trottoir un carré de lumière qu’elle contemple sans bouger. Le chauffeur - une femme- la questionne un peu brutalement. Elle sursaute et se lève d’un bond, comme ça, d’un coup, pour se précipiter dans le bus qui se referme et redémarre aussitôt. La lettre abandonnée git sous le banc.



Les sièges bleu sont délavés et propres. Il fait chaud ici.

[Je n’ai pas le choix, je ne peux plus reculer. L’urgence, c’est la valise… cette putain de saleté de valise !]

Elle règle son trajet puis chercher une place. Elle n’a que l’embarras du choix : le bus est désert à cette heure. C’est le premier de la journée. Elle s’installe à l’avant, pose sa tête contre la vitre et regarde défiler le paysage. La conductrice lui parle mais elle ne répond pas et ferme les yeux. Veut-elle dormir, se reposer ou simplement effacer de son regard une image douloureuse ?



Cinquième arrêt, la gare. Richement éclairée, les haut-parleurs résonnent au son du jingle SNCF.

[Loin, le plus loin possible. Personne ne doit la retrouver… et moi non plus.]

Le bus s’arrête, une dizaine de voyageurs venus de banlieue attendent pour finir le trajet qui les conduit chaque jour à leur poste de travail. Les portes s’ouvrent, ils montent, elle descend. Elle entre dans la gare, dégage son visage de la capuche noire de son sweat. Ses cheveux longs vibrent d’électricité statique. Elle consulte le panneau des départs, se dirige vers une borne et achète un billet. Elle se précipite ensuite vers le quai numéro 2, s’engouffre dans le TGV en attente qui démarre quelques minutes plus tard. Il est 5h32.

Myriam