Destination : 321 , Biographie d'un lieu


Ô Toulouse !

De ma naissance et des premières années qui ont suivies, plongés dans les replis de la préhistoire, je ne garde que peu de souvenirs. Des impressions plus que des images me reviennent parfois, lorsque je perçois les effluves aquatiques de ma Garonne maternelle, ou lorsque je suis ébouriffée d’une main affectueuse et paternelle par le vent d’Autan. De ma mère, ma ligne généalogique remonte jusqu’aux Pyrénées pour s’en descendre jusqu’en Atlantique, et je leur dois mon caractère impétueux, ombrageux parfois mais toujours généreuse. De mon père, pas son ascendance méditerranéenne, j’ai hérité d’un goût de liberté et de gourmandise. Je suis en quelque sorte le midi de leurs racines.

Mes premiers souvenirs concernent un peuple gaulois venus s’installer sur les rives de Garonne. Il semble qu’ils ont apprécié la douceur du site. Ils étaient les Tolosates, ce sont eux qui m’ont donné mon nom. Ils ont prospéré pendant un long moment et j’appréciais leur compagnie joyeuse. Mon insouciance a été un peu bousculée pendant la deuxième partie de mon enfance. J’ai dû apprendre de nouvelles règles, acquérir des connaissances et des savoirs indispensables, mais je dois avouer que j’ai eu pour m’accompagner les meilleurs maîtres de l’époque : l’école romaine.

Lorsqu’on regarde en arrière, on se rend compte que les années les plus difficiles dans une vie sont souvent celles qui correspondent au collège, avec les tourments de l’adolescence en toile de fond. Il en a été pour moi comme pour les autres ! J’ai dû faire face à une période sombre et agitée, faite de conflits multiples et parfois violents, dans lesquels j’ai aussi construit mon identité. Je me suis ouvert à d’autres cultures, d’autres personnalités avec les peuples Wisigoths ou francs. J’ai fait mes expériences et suivi des chemins périlleux avec les Cathares. J’ai découvert la musique et la beauté grâce aux chants de mes troubadours. Mais, grâce à la solidité et l’amour de mes parents, j’ai réussi à traverser sans trop d’accrocs cette phase trouble, devenant même l’une des villes les plus importantes de France. Si je devais résumer en deux mots cette période de ma vie, ce seraient : poésie et passion.

La fin de mon adolescence fut pour moi comme une Renaissance. Elle me permit de sortir de ce tumulte identitaire, de ce bouillonnement hormonal qui me prenait au ventre. Je découvris tant de nouveautés, dans les domaines de l’artisanat, de la culture. J’étais émerveillé et enthousiasmé par toutes ces inventions. Ce fut aussi à cette période que je fis enfin connaissance avec mes aïeules, Atlantique d’un côté et Méditerranée de l’autre, grâce à la construction du Canal du Midi. Cette période fut pourtant marquée par le plus grand drame de ma vie : voir mes habitants se déchirer et s’entretuer pour des guerres de religion. Peut-être est-ce dû à la sensibilité de ma jeunesse, mes aspirations idéales ? Quoi qu’il en soit, cette blessure reste l’une des plus douloureuses de toute mon histoire. Même la grande Révolution ne me marqua pas autant. Au contraire, j’appréciais cette sorte de « remise à plat » générale, même si les résultats furent un peu hésitants pendant quelques années.

Il était temps pour moi d’entrer dans l’âge adulte. Je découvris le monde du travail ; les premières usines et machines à vapeur. Cette époque contemporaine fut aussi pour moi celle des grands aménagements. J’abandonnais peu à peu ma silhouette enfantine, remplaçant mes ruelles médiévales par de grands boulevards aérés le long desquels se bâtissent de grands immeubles bourgeois et les premiers magasins. Je dus également m’agrandir pour pouvoir accueillir les nombreux travailleurs désertant les campagnes pour venir vivre en ville. Je pris le train pour la première fois : quel bouleversement ! J’étais désormais reliée par des bras d’aciers jusqu’aux villes de la région et même de France : Bordeaux, Narbonne, Montpellier… J’étais encore loin de me douter que, en matière de transport, l’avenir me réservait bien des surprises !

Comme tous mes contemporains, la Grande Guerre me surprit dans cette parenthèse. Si je fus épargnée des combats qui se déroulaient loin de nous, ma ville fut littéralement saignée de ses habitants. Ces douloureuses pertes seront comblées, dans les années suivantes, par la venue de populations venues d’Espagne, d’Italie ou même de Pologne. C’est à cette période que je vis arriver des Pyrénées un joyeux illuminé, industriel spécialisé dans les wagons de chemin de fer. Il avait dans l’idée de développer le marché de la construction d’avions. Cela me sembla un peu farfelu au départ mais je fus rapidement gagnée par son enthousiasme. Et je crois que nous avons réussi, en quelques années, à développer cette industrie aéronautique, devenant même une ville pionnière de l’aviation. Nous créâmes l’Aéropostale et j’eu l’immense honneur de rencontrer en personne des hommes tels que Mermoz et Saint Exupéry.

La deuxième guerre mondiale fut une nouvelle parenthèse sombre. Si je fus épargnée par les combats et les bombardements, ma ville entra dans une Résistance farouche et obstinée. Il faut dire qu’entre les leçons de ma jeunesse et ces nouveaux habitants venus de pays eux-mêmes en résistance, nous avions de quoi entrer dans la lutte ! Je vis se développer dans l’après-guerre mon industrie aéro, devenant même le premier site industriel de France à l’aube des années 2000. Entre-temps, les évènements de l’histoire marquèrent aussi mes années : la Retirada, les conflits coloniaux, les mouvements sociaux et étudiants… Tout cela contribua à m’agrandir géographiquement, m’enrichir culturellement, me développer économiquement.

Comme dans toute existence, moi aussi j’ai des hauts et des bas. L’explosion de l’usine en 2001 fait partie de ces traumatismes qui hantent mes cauchemars. Mais la vie continue… et je me dois de rester forte et solide, tournée vers l’avenir, afin de rester fidèle au souvenir de tous ceux qui m’ont marqué de leur empreinte. Qu’il s’agisse de fiers gaulois ou de vaillants romains ; de wisigoth impulsifs ou de francs ombrageux ; de troubadours sensibles ou de cathares engagés ; de révolutionnaires et de résistants ; d’hommes et de femmes nés ici ou venus d’ailleurs… Tous, ils m’ont accordé leur confiance et je dois m’en montrer digne.



Qu'il est loin mon pays, qu'il est loin

Parfois au fond de moi se raniment

L'eau verte du canal du Midi

Et la brique rouge des Minimes

Ô mon païs, ô Toulouse...

Myriam