Destination : 202 , Où est Charlie


Le Beauf, c'est toujours l'autre...

NB: le titre du texte est une citation de Cabu, en référence à son célèbre personnage.

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Jusqu’à il y a quinze jours, le chien de mon voisin, il s’appelait Charlie.

Pour ceux qui verraient là un quelconque rapport avec l’hebdo, stop, je vous arrête tout de suite.

Absolument aucun lien. Le seul point commun entre mon voisin et l’équipe du journal, c’est peut-être le nombre de bouteilles vides qui trainent sur la table. Et encore, ça reste à voir…



Si vous connaissiez mon voisin, vous sauriez qu’il est très loin de la moustache élégante de Cavanna, quoiqu’infiniment mais bien involontairement proche d’un de ses livres : Et le singe devint con… Pour vous le décrire (mon voisin, pas le livre) ça va être simple : psychologiquement, il se situe quelque part entre bête et méchant, reste que pour lui on ne sait jamais quand commence l’un et quand s’arrête l’autre. Physiquement, mon voisin, c’est le clone du Beauf’. Pas le mien, non, ni le vôtre. Celui de Cabu. La même moustache, le même regard, la même bedaine.



Tout ça pour dire que son chien, il s’appelle pas Charlie à cause du journal.

Non il s’appelle Charlie parce que c’était l’année des « C » quand mon voisin l’a ramené de la SPA.

Et comme mon voisin est un ancien militaire, un « vrai de vrai qui a fait la guerre et pas un planqué derrière un bureau », il a appelé son chien Charlie. A, c’est Alpha, B c’est Bravo, Z c’est Zébra et C, c’est Charlie. Mon voisin, s’il avait su que c’était aussi le nom d’un journal de dégénérés antimilitaristes, il aurait réfléchi à deux fois avant de le donner à son clébard. Ou pas, remarque, parce que comme dirait Cavanna, certains jours, « le con se surpasse » !



Mais revenons à Charlie (le chien, pas le journal). Je sais pas qui a dit un jour que les chiens étaient à l’image de leurs maîtres. Celui qui a dit ça, il connaissait pas Charlie. Ou alors, c’est l’exception qui confirme la règle. Parce que plus brave que ce chien, je connais pas.

Le voisin, quand il l’a eu, il a voulu le dresser à pisser sur les voitures des arabes. Si, si, c’est vrai, c’est lui qui me l’a dit. Mais les seuls arabes qu’on a dans le coin, c’est la famille de Momo. Et Momo, il tient la petite épicerie en bas de la rue, la seule qui est encore ouverte à minuit, quand mon voisin a besoin d’une bière. C’est pour ça qu’il a pas pu entrainer son chien comme il faut. Du coup, Charlie, il en a rien à foutre : il pisse sur les voitures de qui il veut, il s’en fout de la couleur et du nom du propriétaire, même si c’est le pape ou le président. Quand il veut pisser, il pisse, n’importe où, en levant la patte bien haut et en regardant droit devant lui.

Alors mon voisin, il continue de pester contre ses sales immigrés qui viennent bouffer le pain des français (sauf Momo, évidemment). Par contre, il a laissé tomber le dressage du chien, et puis le chien tout court. Eté comme hiver, on le voit vadrouiller dans la rue (le chien, pas le voisin. Sauf s’il est bourré). On lui donne tous un peu à bouffer, des restes ou des trucs périmés qui trainent dans le frigo. La nuit, quand il fait trop froid, Charlie, il connait la combine : il va direct chez le professeur (on l’appelle comme ça parce qu’il a toujours des idées terribles) qui lui laisse son garage ouvert avec une vieille couverture.



Ce chien, il ferait pas de mal à une mouche. Pardon, je dis une connerie, parce que justement, les mouches, il les bouffe. Vrai ! Il les chope d’un claquement de dents, faut voir sa rapidité ! Et les abeilles aussi, et les punaises. Tiens, j’avais jamais remarqué que c’était que des bêtes qui font bzzzzzzz… En fait, Charlie, je crois qu’il aime pas les emmerdeurs, tout simplement, parce qu’il court jamais après les papillons ni les libellules. Ni même les chats, sauf le chat de la dame du 4, qui est une chatte en fait…

Sinon, à part les mouches, Charlie, il a une passion dans la vie : les gosses. Il en est dingue. Dès qu’il y en a un qui sort de chez lui pour jouer sur le terrain vague, il le rejoint aussitôt pour lui faire la fête. Et les mômes le lui rendent bien, ah ça oui ! Ils sont une demi-douzaine à galoper dans l’herbe : il y a les deux Bernard, Jean, Philippe, Stéphane, Georges et Mustapha. C’est marrant de les voir tous courir après tout et n’importe quoi, et surtout après les filles et les blagues à la con !

Evidemment, le voisin, il voit pas les choses comme moi. Lui il dit que ce sont des sales gosses, sans foi ni loi, ni Dieu ni maître et que ce sont eux qui ont couvert les murs de la cage d’escalier de dessins salaces et injurieux. Je crois surtout que ce qui l’a vexé, mon voisin, c’est de retrouver sa tronche un matin, dans un de ces fameux dessins. Faut dire que le gosse qui a fait ça, il a un sacré coup de crayon… Le voisin, impossible de pas le reconnaitre avec sa tête de con !



Mais revenons à nos moutons. Ou plutôt, au chien. Oui, je vous disais donc pour commencer, que, jusqu’à il y a quinze jours, ce chien, il s’appelait Charlie. Oui, comme le journal. Oui, celui qui a été massacré. Sauf qu’après ça, nous, on ne savait plus comment l’appeler, le chien. Au début, on disait Charlie, comme avant. Mais les gens nous regardaient de travers : « Mais enfin, cela ne se fait pas, voyons madame, on ne donne pas le nom d’un mort à un chien ! C’est indécent et irrespectueux ! ». J’avais bien envie de leur dire que Charlie, il était pas mort (la preuve, il gambadait dans mes jambes) mais je dois avouer que je me sentais un peu mal-à-l’aise moi aussi avec cette histoire. Est-ce que par hasard je ne faisais pas un blasphème sans le savoir ? J’ai cherché dans le Larousse : « parole ou discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré ». J’étais perplexe : Charlie (le journal, pas le chien) était-il devenu sacré ? Charlie était-il maintenant un journal respectable ? Je me demandais jusqu’à quel point cette idée n’était pas une insulte pour Charlie (le journal, vous avez compris).



Mais ce questionnement, certes d’un intérêt non négligeable, ne résolvait en rien notre dilemme : comme appeler ce chien maintenant ? Difficile, après tant d’années, de lui donner un autre nom. Alors, petit à petit, sans s’en rendre compte, on a contourné le problème. Si on ne pouvait plus l’appeler Charlie et si on ne pouvait pas l’appeler autrement, alors on ne l’appellerait plus. C’est ce que nous avons fait. Entre nous, on disait « le chien » et, pour le faire venir, on le sifflait. Ça a pas eu l’air de le déranger. Je crois qu’il s’en fout d’ailleurs, le chien, de la façon dont on l’appelle. Tant qu’on le soigne et que les gosses sont là pour jouer avec lui…



Sauf que mercredi, oui, jour où normalement Charlie (le journal, pas le chien) sort en kiosque, plus de Charlie nulle part (le chien, mais le journal aussi d’ailleurs). Les gosses l’ont cherché partout : dans les caves, les jardins, les garages. C’est que Charlie, c’est un peu leur mascotte, maintenant… Quand ils passaient, on les entendait chuchoter, un peu paniqués : « Où est Charlie ? ». Alors, on s’est mis à les aider, nous, les vieux, qui passons nos journées assis sur un banc…

Et puis, vers six heures, alors qu’on était tous prêts à rentrer chez nous, qui c’est qu’on a vu débarquer ? Charlie, évidemment ! Quelle soulagement pour tout le monde parce-que, même adultes et même si on ne l’aurait avoué pour rien au monde, nous aussi on l’aime bien, ce chien. Et avec lui, il y avait cette petite, Elsa je crois, qui passe ses journées à lire des livres d’intello en regardant les conneries que font les garçons d’un air compatissant.

Je me suis approché d’elle et je lui ai demandé : « Qu’est-ce que tu fais là, Elsa ? »

- Ben, je suis Charlie…

Myriam