Destination : 49 , Lettre à un auteur...


Lettres aux Auteurs Inconnus

Chers Auteurs Inconnus,



Pour commencer, je vais préciser à qui cette lettre est adressée, afin de ne pas créer de malentendu ou d’équivoque regrettables. Je ne parle pas ici de ces plumes de l’ombre, souvent désignées comme « nègres », bien que leur contribution à la littérature soit inestimable et qu’elles mériteraient, à juste titre, une dédicace chaleureuse et enthousiaste. Il ne s’agit pas plus de ces auteurs, parfois célèbres et reconnus, qui choisissent d’écrire de façon anonyme pour quelque raison que ce soit et qui ne regarde qu’eux. Je ne m’adresse pas, non plus, à ces centaines de milliers d’écrivants confidentiels qui, dans des cercles d’écriture comme le nôtre ou même seul dans leur cocon, tracent des mots sur des pages, comme une douce musique qui les accompagne dans leur vie.

Je souhaite dédier cette lettre à ces Auteurs Inconnus, venus de notre lointain passé, et dont la trace et la mémoire s’est depuis longtemps réduite en poussière. Ces hommes et ces femmes - car je ne peux imaginer qu’il n'y ait pas eu un partage entre les sexes – sont nos ancêtres, vieux de plusieurs milliers d’années, nous leur devons tant. Il est possible même que nous leur devions tout.

Sur les sentiers des forêts primitives, à l’abri de roches et de grottes millénaires, portés par les pas de ceux qui les avaient précédés et de ceux qui leur succèderaient, certains parmi eux devenaient, j’en suis sûr, des conteurs. Ils racontaient… le fil des saisons, les mouvements des étoiles, le feu des orages, les arbres et les oiseaux, les esprits et les bêtes sauvages, la puissance de la nature, la violence des tempêtes, la guérison miraculeuse, la vie, la mort, l’amour… Ils parlaient de ce qu’il s’était passé, de ce qu’ils avaient vu ou entendu, auquel, très certainement, ils ajoutaient une pincée d’extraordinaire, de croyance, de magie car, sinon, comment expliquer l’inexplicable ? En cela, les auteurs modernes n’ont guère changé…

Pendant des milliers d’années, ils ont transmis leurs récits et, de génération en génération, il s’est toujours trouvé un membre du groupe pour se lever, un soir de veillée ou un matin de tempête, pour raconter l’histoire entendue des centaines de fois mais chaque fois, pourtant, remodelée par son nouvel auteur. Les fonctions de ces récits étaient les mêmes qu’aujourd’hui : s’évader, transporter, apaiser, enseigner, persuader. Je ne peux qu’imaginer le talent de ces conteurs qui avaient le devoir de faire vivre des personnages, des légendes, des émotions et ceci, à la seule force de leur voix. Peut-être ponctuaient-ils leurs récits à l’aide de tambours ou de flutes ; peut-être, quelques dessins précis sur la paroi d’une grotte aidaient à visualiser certains passages épiques. Peut-être.

J’aime à croire que vous n’avez jamais disparu de nos vies, que vos récits ont traversé les siècles, les millénaires, les pays, les continents pour arriver jusqu’à nous. Que les plus anciens de nos récits, dont nous pouvons trouver une trace physique depuis environs cinq mille ans, ne sont que les fruits de vos premiers balbutiements ; que les traditions orales qui parcourent le monde en sont encore un écho lointain mais réel. Que, derrière ces histoires parfois violentes, souvent mystérieuses, empreintes de magie ou de croyances religieuses, se cachent des graines de vérités, mille et mille fois remodelées par les soins de vos successeurs.

J’aime à croire que Moïse ou Gilgamesh furent juste des hommes qui voulaient guider d’autres hommes vers un avenir meilleur à l’instar de Mandela ou de Ghandi. Que le voyage d’Ulysse et les exploits d’Hercule avaient été des exploits d’hommes face aux éléments, avant que de devenir les jouets de divinités capricieuses. Qu’avant d’être les amants de Vérone, Roméo et Juliette s’étaient aimés en secret, à l’abri de grottes souterraines. Qu’il était une fois, les contes d’Andersen, Grimm ou Perrault avaient été des histoires réelles et malheureuses vécues par des gens comme vous et moi. Que le combat épique entre Harry Potter et Lord Voldemort n’est pas si différent de celui de la Guerre de Troie…

J’aime à croire qu’un jour, dans quelques milliers d’années, de la même façon, il ne restera que quelques infimes traces de nos vies, au travers de récits et de légendes qui seules, auront traversé le temps….

Tout a déjà été écrit, j’en suis convaincue. Que l’histoire soit contée, manuscrite, informatisée, modelée par chaque époque et chaque civilisation, le fond reste le même. Et ce fond, cette trace de vérité, nous ne pouvons que nous en approcher, le deviner, en toucher fugacement le reflet qu’il laisse dans notre esprit : voilà la magie de la lecture.

Chers Auteurs Anonymes, c’est de ce cadeau que je vous remercie aujourd’hui. Celui d’avoir insufflé et de garder vivante, en chacun de nous, la flamme de l’imaginaire et le goût des histoires. Vous n’en avez certainement jamais eu conscience, mais cet héritage que vous nous avez transmis est aussi précieux que celui du feu ou de la fabrication d’outils.

Merci à chacun de vous. Infiniment et éternellement.

Myriam