Destination : 271 , Journée universelle d'Ailleurs


Une Journée Ailleurs

Cela faisait maintenant 13 ans que David attendait chaque année ce jour avec impatience. Le 1er avril, était sa journée à lui, sa journée Ailleurs. Un ailleurs qu’il n’allait jamais chercher bien loin, non, juste au bout de la route. Tout avait commencé alors qu’il traversait une période difficile. Sa femme venaient de le quitter et il devait apprendre cette nouvelle vie intermittente, avec ou sans les enfants selon les semaines. Cette situation le perturbait beaucoup et il se sentait quelque peu déprimé.

Ce matin-là, il était parti au travail en voiture, comme tous les jours. Il écoutait la radio distraitement mais une information retint son attention : on était le 1er avril, jour des blagues. Il se remémora celles qu’il faisait, enfant, à ses grands-parents, cibles privilégiées de ses inventions farfelues. Il se demanda s’il serait encore capable, aujourd’hui, d’inventer une histoire incroyable… C’est en arrivant devant son bureau qu’il eut une idée étonnante : aujourd’hui, il n’irait pas travailler. Enfin, au moins pendant une heure, le temps de faire avaler à ses collègues un scénario qu’il allait inventer.

Il avait donc continué sa route. Il était rapidement sortit de la petite ville, suivant la départementale qui s’étirait devant lui. Il avait roulé un peu plus d’une heure et puis, il s’était arrêté sur un chemin de terre, au milieu des champs. Et peu à peu, ce qui ne devait être qu’une brève plaisanterie pris le visage d’une école buissonnière. Il appela son patron et lui avait dit qu’il ne se sentait pas très en forme, qu’il prenait sa journée. Ce dernier, avec lequel il entretenait d’excellentes relations, était au courant de la mauvaise passe que traversait David. De plus, cette demande relevant de l’ordre de l’exceptionnel, cela ne lui posa aucun problème.

David éteignit complètement son téléphone et le jeta sur le siège passager. Il ferma la voiture à clefs et se mit à marcher tranquillement le long du chemin. Au bout de quelques pas, sa respiration se fit plus légère. Il s’aperçut que, malgré la température fraîche, il faisait beau. Au détour du chemin, caché derrière une haie, il fut surpris de trouver un homme, assis sur une pierre. L’homme le salua de la tête en lui faisait signe de garder le silence. David s’assit à côté de lui, essayant de deviner ce que cet inconnu faisait là. C’était un homme d’environs soixante-dix ans, plutôt corpulent, au visage tanné par les rides et le soleil comme tous les agriculteurs ici. Au bout de quelques minutes, l’inconnu se tourna vers lui :

- Vous avez entendu ?

- Quoi ?

- Le faisan !

- Qu.. quoi ? Quel faisan ?

Et le vieil homme parla… Passionné de chasse depuis sa jeunesse, cet agriculteur retraité faisait le tour de la commune pour recenser les faisans et autres gibiers à plume : perdrix, perdreaux, cailles… Il expliqua la politique voulue par le nouveau président de la Société de Chasse, une jeune aux idées révolutionnaires mais diablement efficaces : afin de laisser les espèces retrouver leur territoire de vie naturel, il était demandé chaque année de ne pas tuer les mâles aux plumes colorées, donc plus faciles à repérer. Et depuis cinq ans, cela avait peu à peu permit de repeupler la campagne par des animaux sauvages. La saison de chasse était terminée, l’hiver avait passé : il fallait maintenant voir si les oiseaux, élevés en cage et lâchés à l’automne dernier, avait passé les mauvais mois, et, plus important encore avaient réussi à se reproduire. Le vieil homme, qui s’appelait Roland, profitait du soleil pour faire cette corvée de recensement.

David détestait la chasse et, de façon plus générale, toute situation qui impliquait la mort d’un animal. Il n’était pas végétarien pourtant, mais limitait sa consommation de viande et de poisson en évitant d’y penser. Cependant, il fut intéressé par la démarche de Roland et lui proposa de l’aider. Le vieil homme fut étonné mais accepta finalement.

C’est ainsi que David passa la journée à arpenter les champs et les vignes, les prés et les sous-bois. Il découvrit une nature qu’il n’avait jamais remarquée grâce à Roland qui se révéla un compagnon très agréable et heureux de partager son savoir. David apprit à reconnaitre les chants des oiseaux et les oiseaux eux-mêmes ; il apprit à voir les traces de passages des animaux, chevreuils, lapins, sangliers. Il apprit à reconnaitre les différentes cultures et leur stade de croissance, les tournesols à peine germés, les blés déjà hauts et verts, les colzas en fleur. A midi, Roland l’invita à déjeuner chez lui et, pour compléter sa formation, lui servit un assortiment de pâtés fait maison tartinés sur de larges tranches de pain de campagne. La journée passa rapidement et le soir, quand les deux hommes se quittèrent, ils étaient devenus amis. Roland proposa à David de l’appeler pour le mener aux champignons, et lui apprendre à reconnaitre les bons des mauvais. Ce que David accepta avec joie.

Quand il rentra chez lui, David était fatigué de cette journée de marche, lui qui ne faisait jamais de sport. Mais il se sentait bien, empli d’une tranquillité qu’il n’avait pas connu depuis plusieurs mois. Cette journée avait été vraiment riche et il était enchanté de cette rencontre improbable due au hasard. Il repensait à tout cela sous sa douche, et se fit la réflexion que finalement, il n’était pas forcément besoin de parcourir des milliers de kilomètres pour trouver un Ailleurs. Il n’y avait qu’à s’ouvrir à autre chose, et ces autres choses se trouvaient aussi à portée de main.

Il dormit comme un enfant. En se levant le lendemain, son sentiment de légèreté ne l’avait pas quitté. Il se surprit même à siffloter les cris d’oiseaux que Roland avait essayé – sans succès – de lui apprendre. Il avait envie de revivre cette expérience. Il décida donc que, dès ce jour, chaque année, il prendrait sa journée du 1er avril pour aller à la rencontre du hasard, se laissant guider par le destin pour suivre une route, un chemin.

Il roulait parfois dix minutes, parfois deux heures. Peu importait. Il attendait un signe pour s’arrêter. Une fois, il apprit à tailler la vigne et passa sa journée, sécateurs en main, à discuter vignobles et terroir avec un agriculteur. Une autre fois, il s’arrêta à la sortie d’une ville et aida deux employés municipaux à nettoyer et fleurir les ronds-points. Une autre fois encore, il suivit des randonneurs sur leur chemin de pèlerinage. Parfois, les gens ne comprenaient pas sa démarche et il devait chercher un autre lieu, une autre rencontre. Mais la plupart du temps, ses explications suscitaient l’intérêt et même la sympathie. Il était impatient de découvrir quelle surprise lui réservait le hasard cette fois…

Demain. Son sac était déjà près. Les expériences passées lui avait appris à ne rien négliger : prévoir des bonnes chaussures voire même une paire de bottes dans la voiture, une tenue confortable, un sac avec de l’eau et quelques sandwichs et biscuits qu’il pourrait partager au besoin. Il se lèverait tôt, et prendrait pour une fois le temps de regarder le jour se lever en buvant son café. Puis il partirait à l’aventure…

Son aventure était au bout du chemin, sa journée serait Ailleurs. Il était prêt.

Myriam