Destination : 180 , Objets en chemin


Inventaire 90's

D’un point de vue lexical, l’« objet » peut être à la fois sujet (« l’objet d’une intervention »), cause (« l’objet d’une dispute ») et but (« l’objet de ma visite »). Intéressant, non ? Comme si, en même temps, les objets étaient porteurs de notre passé, de notre présent, de notre avenir… Il en est ainsi de quelques-uns, auxquels je reste fidèle, au point qu’ils font toujours partie de mon quotidien…

Le premier, qui me tient enchainée par le poignet droit, c’est ma montre : une Swatch, toujours, et ce depuis la première, offerte par ma cousine lors de ma communion quand j’avais onze ans. Si je m’en souviens parfaitement (bracelet en plastique et cadran transparent qui laissait voir le mécanisme, avec des aiguilles orange et vert fluo), c’est étrangement la seule que j’ai perdue parmi celles qui ont suivies… Mais la plus symbolique à mes yeux, reste la seconde, offerte par mes parents quelques semaines après mon BEPC, obtenu sans trop d’effort je dois bien le reconnaître ! C’était un modèle masculin, plus large, plus sobre aussi avec son bracelet de cuir noir et un cadran rouge. Elle symbolisait pour moi la perspective d’une nouvelle vie, d’une nouvelle aventure : l’entrée au lycée.

En arrivant dans ce nouvel établissement scolaire d’à peine 200 élèves, je découvrais avec surprise, et dès les premiers jours, l’importance de l’apparence et de l’uniforme des uns et des autres. Nous étions pourtant à l’aube des années 90, loin des écoles qu’avaient connues mes parents quelques trente ans en arrière. Et pourtant ! Il était de bon ton de porter le vêtement adéquat, estampillé de l’étiquette appropriée : le pull en laine de Benetton, le blouson aviateur de Chevignon, la chemise fleurie de Cacharel, les tennis Bensimon ou Converse… Mais à la maison, il était hors de question d’acheter un vêtement aussi cher : d’abord parce-que nous étions trois enfants, ensuite parce que mes parents refusaient de payer un vêtement plus cher que sa valeur, juste pour une signature. C’est donc avec beaucoup d’impatience que j’ai attendu mon anniversaire pour demander à tout le monde un peu d’argent et m’offrir mon premier « vrai » jean : un Levi’s 501, qui devait me permettre d’ « entrer dans la légende » ! Enfin, c’est ce que nous promettaient les pubs qui passaient sur le petit écran, de véritables courts-métrages (Ah ! les débuts de Brad Pitt…) qui m’ont surtout marqués par les musiques qu’ils m’ont permis de découvrir, moi qui jusque là avait été bercée par la chanson française qu’écoutait ma mère. Et là, tout d’un coup, un nouvel horizon s’ouvrait pour moi, avec des titres fabuleux qui me bouleversent encore : « Wonderful World » de Sam Cooke, « Stand by me » de Ben E King, « When a man loves a woman » de Percy Sledge, « Mannish boy » de Muddy Waters, ou encore, The Clash avec « Should I saty or Should I go ». Cependant, s’il est un album que j’associe véritablement à mes années lycées, c’est celui de U2, intitulé « War » et la célèbre chanson « Sunday bloody Sunday » me donne ma première claque politique avec la prise de conscience du terrorisme dans le monde. D’autant plus que, dans cette même période, plusieurs évènements se produisent qui m’ont profondément marquée. Tout d’abord, en 1989, le bicentenaire de la révolution française me donne la fierté d’appartenir à ce pays dont le peuple s’est soulevé pour défendre les valeurs essentielles de liberté, d’égalité et de fraternité. Puis quelques mois plus tard, c’est la chute du mur de Berlin, dont les images sont encore très vives dans ma mémoire, et qui entrainent la dissolution du bloc soviétique, mais aussi la guerre en Yougoslavie et les massacres de Sarajevo en 1992. J’ai l’impression que c’est au cours de cette période que ma conscience s’éveille, et tout particulièrement grâce aux cours de philo et la lecture de certains auteurs, au premier rang desquels je place « L’Engrenage » de Sartre et « Souvenirs de la Maison des morts » de Dostoïevski, ces deux livres qui permettent je trouve d’aiguiser le regard sur la réalité du monde, entre ce qui est su et ce qui est tu.

Une montre, un jean, un album, quelques livres… Ainsi donc parlent mes objets, ces objets, nos objets, dont la valeur marchande n’a que peu à voir avec celle qu’on leur attribue. Breloques, brimborions et autres pacotilles emplissent nos existences sans que l’on y prenne garde, sans même que l’on puisse imaginer l’importance qu’ils vont prendre le jour où ils entrent dans notre vie…

Myriam