Destination : 237 , Nuit magique !


La Nuit des Fées

J’étais passée des dizaines de fois devant cette maison perchée au sommet d’une colline. Enfin, ce qu’il en restait : seul un pan de mur tenait encore debout. Tout le reste gisait à terre, en un amas poussiéreux duquel on voyait apparaître des pierres, quelques tuiles brisés, des lames de planchers et des morceaux de poutres pourries. Et, de ce fatras improbable, émergeait un noisetier tordu, tendant ses branches biscornues vers le ciel. J’aimais ces ruines, j’aimais venir les contempler, m’asseoir à l’ombre de l’arbre. Je me demandais quelle histoire avaient ces pierres, quelles vies avaient été abritées là, pourquoi et comment cet endroit en était arrivé à cet état de délabrement émouvant. J’imaginais un enfant jouant sur le sol de terre battue, une femme s’activant derrière un foyer disparu, un homme harassé rentrant des champs alentours après une journée de travail.



Mais, il y a une dizaine d’années, il m’est arrivé une étrange aventure, justement à cet endroit-là. A cette époque, j’étais jeune maman : mon fils venait de faire ses trois ans, tandis que ma petite dernière allait bientôt souffler sa première bougie. Nous étions le 31 octobre et, profitant de cette belle après-midi d’automne, j’étais partie faire un petit footing quand mon compagnon était rentré du travail. J’avais prévu de faire mon petit tour habituel, qui durait, selon mon état de fatigue, environ une heure. Ce parcours me faisait passer devant cette fameuse ruine, et c’est pour cela que je l’affectionnais particulièrement.



Il devait être un peu plus de 19h quand j’arrivai à cette maison. Le soir tombait et je me hâtais de rentrer avant la nuit, regrettant un peu d’être partie si tard. J’arrivai en vue de la maison par l’angle du seul mur debout et, de ce côté-ci, on aurait presque pu croire qu’elle était intacte. Je découvris alors une petite porte basse, faite d’un panneau de bois sombre. Je fus surprise de ne l’avoir jamais aperçue auparavant, mais j’en conclus que je n’y avais pas prêté attention puisque je pouvais explorer la ruine par la béance opposée. Curieuse, je m’approchai et soulevai la poignée de fer rouillée. Je poussai la porte et entrai dans la maison.



Ce que je vis me stupéfia. Une clarté solaire semblait descendre du plafond en parfait état et les murs étaient aussi droits et solides qu’ils avaient dû l’être par le passé. Je me tenais dans une large pièce unique, dans laquelle plusieurs personnes allaient et venaient, discutant ensemble sans me prêter attention. Les femmes étaient vêtues de longues robes colorées, tandis que les hommes portaient une large tunique sur un pantalon bouffant et resserré sur les chevilles. Tous avaient les cheveux longs, bruns, blonds, roux, retenus en tresses ou laissés libres sur les épaules.



Une femme s’approcha de moi, elle paraissait glisser plus qu’elle ne marchait et je ne saurais dire si elle faisait l’un ou l’autre car ses pieds étaient cachés sous l’ample tissu de sa robe. Elle me souriait très amicalement, son regard gris-vert était doux mais sa voix ferme :



- Vous n’avez rien à faire ici… Cette assemblée ne vous concerne pas... Pas encore…



Une autre femme s’approcha et l’interpella :



- Que se passe-t-il Morgane ?

- Rien de grave. Cette jeune fille est entrée chez nous par erreur et je lui expliquais qu’elle ne devait pas rester ici.

- Comment cela se peut-il ? Serait-elle…

- Oui, je le suppose. Sinon elle n’aurait jamais pu franchir la porte. Elle n’aurait jamais pu venir jusqu’à moi !

- Merlin a-t-il été informé ?

- Non. Il saura bien assez tôt…



J’étais muette de surprise et écoutais ces deux étranges dames discuter de moi sans comprendre ce à quoi elles faisaient allusion. Celle qui s’appelait Morgane s’approcha de moi et posa la main sur mon ventre :



- Oui, bientôt… ce sera le moment. Il faut laisser passer quelques lunes… Mais maintenant, vous devez partir, Merlin ne va plus tarder. Il n’aime pas que les temps se mélangent…



Sa main me repoussa légèrement et je me retrouvai devant la maison. Plus aucune trace de la porte, les ruines étaient telles que je les avais toujours connues. Je me hâtai de rentrer chez moi, un peu sonnée.



Quelques mois plus tard, alors que rien n’était prévu, un troisième enfant s’invita par surprise dans notre vie. Une autre fille. Quand les sages-femmes la posèrent contre mon cœur, elle ouvrit les yeux et je plongeai dans les siens. Son regard gris-vert me sourit et je la reconnu. Morgane, ma petite fée.

Myriam