Destination : 317 , Mensonges


Le Miroir du Manque

Il n’est pire mensonges que ceux que l’on se raconte à soi-même. Non seulement ils nous empoisonnent sans même que nous en ayons conscience mais en plus, ils détruisent toujours, tôt ou tard, la vie de ceux qui nous entourent.

Il fait partie de ces gens-là. Lorsque je l’ai connu, c’était un jeune homme charmant, plein de vie et d’entrain. Très vite il a séduit ma meilleure amie et j’ai été ravie d’être leur témoin de mariage. Nous étions très liés et nous passions beaucoup de temps ensemble. Nos conjoints travaillant le week-end, lui et moi étions souvent ensemble sans que jamais, il n’y ait la moindre ambiguïté dans nos relations. Bien sûr, nous avions noté sa tendance à exagérer, à embellir la réalité, à toujours avoir fait un peu mieux ou un peu plus fort que les autres. Mon conjoint et moi riions de ce trait de personnalité qui, ma foi, ne faisait de mal à personne.

Les années ont passé, je suis devenue maman et, pour ma dernière grossesse, mon amie et moi sommes tombées enceintes presqu’en même temps. A la naissance de leur garçon, les choses ont commencé à changer insensiblement mais je ne m’en suis pas alors rendu compte. Accaparée par mes trois jeunes enfants et la fatigue de mes journées bien chargées, je me laissais porter par les évènements. Me rappelant mes propres difficultés à la naissance de mon premier, je comprenais les leurs même si, parfois, je trouvais qu’il exagérait quand même un peu. A l’entendre, leur fils était le plus terrible des bébés : il ne faisait pas ses nuits, il était toujours malade, il ne mangeait pas bien, il n’était pas propre. Bref, il l’épuisait. Mon conjoint a commencé d’être très agacé par ce comportement. Il me reprochait souvent de les aider, de garder le petit pour qu’ils puissent souffler alors que pas une fois, ils ne nous ont proposé leur aide. « Comme si toi aussi tu n’étais pas fatiguée ! » Je me disais que c’était difficile parce que nous avions trois enfants et que justement, j’étais bien placée pour savoir que cette aide était précieuse. Et puis, soyons honnête : j’adorais cet enfant, qui était mon filleul. Et le plaisir de le voir grandir avec les miens, de créer des liens quasi-fraternels avec eux valait toutes les fatigues du monde.

Petit à petit, leur relation de couple s’est dégradée. Il s’est mis à faire des reproches, des remarques désagréables sur elle, sa façon d’être et de faire, sa famille, ses amis. Il disait à qui voulait l’entendre qu’il ne supportait plus ses proches à elle ; il racontait qu’il devait tout gérer à la maison en plus de son travail. Bref, sa propension à l’exagération se retournait cette fois contre ceux qui, pourtant, lui avait accordé leur affection. Et si on ne le comprenait pas, si on n’était pas d’accord avec lui, il y voyait la preuve de ce qu’on ne l’aimait pas.

Avec elle, son comportement est devenu odieux. Il faisait régner dans la maison un climat tendu, attentif à la moindre « erreur » qu’elle pouvait commettre pour déclencher une crise de rage folle. Et tout était prétexte à l’erreur… Le comble était qu’il en imputait toute la faute aux autres : c’était toujours à cause d’elle, de moi, de la belle-famille qu’il était devenu comme ça. Et jamais, il ne lui est venu à l’esprit que c’était à lui de savoir contenir sa violence verbale. Elle n’osait plus rien proposer, plus rien dire, à peine bouger et respirer de peur que la foudre ne lui tombe dessus. Leur fils était tétanisé par ces crises de violence dont il n’était malheureusement pas protégé. Aucun mur, même le plus épais, ne peut effacer le sentiment de fureur. Après chaque crise, je ramassais mon amie avec une petite cuillère. Elle était convaincue qu’elle était la seule fautive, qu’elle aurait dû faire comme-ci ou penser comme ça. Elle se sentait minable, ses propres mots devenaient violents « je suis une merde, je ne vaux rien, je fais tout de travers, j’ai encore tout raté ». Il lui renvoyait une image d’elle tellement négative qu’elle finissait par le croire. Pendant des mois, je suis restée à ses côtés, avec un seul objectif : l’aider à tenir debout, à ne pas complètement sombrer dans sa folie à lui. Remonter son image personnelle, lui donner un peu de confiance et d’amour vis-à-vis d’elle-même.

Avec nous, il est devenu froid, distant. Quand nous nous rencontrions, son visage était continuellement dur, froid, en colère. Il nous faisait bien sentir que nous n’étions plus les bienvenus dans sa vie. Un jour, j’ai décidé que j’en avais assez de faire semblant : puisqu’il ne nous supportait plus, et bien, il n’aurait plus à nous supporter. J’ai donc cessé d’aller vers lui, ne serait-ce que pour le saluer. La réaction a été d’une ironie sans faille : comment osais-je le traiter comme cela ? Cela montrait bien à quel point il ne comptait pas pour nous ! Pendant de longs mois, par son intermédiaire à elle, il a joué le rôle du pauvre innocent malmené, incompris, rejeté. Il a toujours retourné les quelques discussions que nous avons eu tous les deux : puisque je n’étais pas de son avis, c’était forcément que j’étais contre lui.

Les choses ont duré comme cela tout un hiver, puis un printemps. Six mois d’amertume, de colère, de reproche, de manipulation, de déstabilisation. Six mois qui ont mis à mal mon couple et ma famille car je donnais beaucoup de temps et perdait beaucoup d’énergie dans cette histoire. Et puis enfin, un soir d’été, elle a décidé de tout arrêter. Ils se sont séparés.

Évidemment, ce serait trop simple de dire que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce serait trop simple de penser que tout s’est arrangé pour chacun, simplement et gentiment. Évidemment.

La situation reste compliquée et il y a des moments noirs. Surtout pour elle. Elle a repris son suivi avec une thérapeute (interrompu car il lui reprochait de s’occuper d’elle au lieu de prendre soin de lui). C’est cette professionnelle qui a mis des mots sur ce que j’avais simplement envisagé : manipulation, personnalité narcissique, relation d’emprise. Le chemin de la reconstruction sera long mais nécessaire.

De mon côté, j’ai aussi entamé une démarche pour m’aider à tourner cette page. C’était indispensable, cette histoire m’a profondément déstabilisée. Car même si je n’étais pas en première ligne, j’ai dû moi aussi tenir la tranchée et les dégâts psychologiques sont palpables. J’ai pris de la distance avec mon amie. Non pas que je l’aime moins, simplement parce que c’est encore trop douloureux pour moi, après tout ce qu’il s’est passé. Et puis, je pense aussi que pour retrouver sa confiance en elle-même, en ce qu’elle est, ses forces et ses compétences, elle doit cheminer de son côté. Par contre, je continue de voir mon filleul aussi souvent que possible car je l’aime profondément et indéfectiblement.

De son côté à lui, les choses n’évoluent pas. Il est toujours englué dans sa vision des évènements, il continue de ressasser sa rancœur et sa colère, convaincu que ce sont les autres qui sont la cause de ses problèmes. Bien sûr, j’ai compris que ce n’est pas un comportement volontaire, que c’est lié à un manque qu’il porte en lui. Je comprends mais je ne peux pas excuser. Et je terminerai par cette phrase, entendue il y a plus de vingt ans sur les bancs de la fac de psycho par l’un de nos professeurs : « On n’est pas responsable de son inconscient, mais on a à répondre de ce qu’on en fait. »

Myriam