Destination : 57 , Arbre mon ami


L'Arbre et l'Enfant

[Ce texte est la deuxième partie d'un récit, dont la première est présentée dans la dest. 170]



28 Octobre 1979, 15h30.

Je m’appelle Mathieu, j’ai quatre ans et demi. Je suis dans la voiture de papi et mamie, avec maman à côté de moi qui n’arrête pas de pleurer et de me serrer fort dans ses bras en me disant qu’elle m’aime. Je ne comprends pas ce qu’il se passe… je sais qu’on va à l’Eglise, je sais qu’on suit la grosse voiture noire juste devant, je sais que dans la grosse voiture pleine de fleurs il y a une grande boite et je sais que dans cette boîte, il y a mon papa.

Il est mort. Ça veut dire qu’il ne peut plus me voir, ni m’entendre, ni me parler, ni me câliner, ni me donner le bain, ni jouer avec moi, ni me faire manger, ni me gronder quand je fais une bêtise, ni m’emmener en promenade, plus rien, sauf qu’il m’aime quand même pour toujours. C’est ce que maman et mamie m’ont expliqué hier. Moi j’y comprends rien et je suis malheureux parce-que je ne vais plus le voir et puis, je me demande pourquoi on l’a mis dans cette boîte… ça me fait peur.



30 Octobre 1979, 17h00.

Avec maman, on est allé voir papa au cimetière. J’aime pas ça et je crois qu’elle non plus. J’ai bien vu sa tête quand mamie m’a dit que mon papa était au ciel : elle avait pas trop l’air d’y croire. Moi je comprends pas qu’on l’ai mis dans la terre si il est au ciel…

En revenant à la voiture, maman s’est soudain arrêtée et m’a demandé de venir. On s’est approché d’un grand arbre et elle m’a dit que c’était un chêne. Elle m’a dit qu’il y a très longtemps, les hommes qui vivaient à cette époque-là (avant mamie mais après les dinosaures) croyaient que l’esprit des personnes mortes pouvait revenir habiter dans un arbre. Elle m’a alors fait chercher dans l’herbe, pour choisir la plus jolie graine d’arbre, et que nous irions la planter ensemble pour donner une nouvelle maison à papa. J’en ai trouvé une, je sais pas si c’était la plus jolie parce-qu’elles se ressemblaient toutes. Mais maman a eu l’air de la trouver très belle.



31 Octobre 1979, 11h30.

J’ai dormi avec ma graine, cachée sous l’oreiller pour qu’elle soit bien au chaud. J’ai essayé de lui parler, pour voir si mon papa me répondait, mais je n’ai rien entendu. Je suppose qu’il est pas encore arrivé dans la graine.

Avec maman, on a cherché un chouette endroit pour lui faire un petit nid. On a choisi juste au bord du petit bois, pour qu’il se sente pas tout seul comme arbre, et pas loin de la maison comme ça on peut y aller aussi souvent qu’on veut.

On l’a plantée dans la terre et j’ai posé à côté le caillou que j’avais peint à l’école pour la fête des pères : il est vert avec des tâches de toutes les couleurs et j’avais écrit « papa » dessus. Papa l’avait beaucoup aimé alors je pense qu’il sera content de le trouver là quand il arrivera.

Avant de partir, on a arrosé la petite graine et maman à pleuré et du coup, ça m’a donné envie de pleurer à moi aussi. Maman m’a promis qu’on reviendra demain.



01 Novembre 1979, 15h50.

On est revenu voir la petite graine. Enfin on a rien vu mais grâce à mon caillou, on savait où elle était.

Maman m’a dit que je pouvais lui parler, mais moi je trouve bête de parler à rien. Et puis, je sais pas quoi lui raconter. Elle m’a dit de faire comme si c’était papa mais là non plus je savais pas quoi dire. Alors ça m’a rendu triste et ça m’a donné envie qu’il soit là pour me prendre contre lui et m’amener jouer comme avant, et je me suis mis à pleurer. Maman aussi s’est mise à pleurer et elle m’a fait un gros câlin en me disant « c’est pas grave mon poussin, de toutes façons papa sait qu’on l’aime très fort ».

25 Décembre 1979, 16h30.

J’ai recommencé d’aller à l’école et je ne peux plus aller voir ma graine tous les jours. Et maman ne veut pas non plus que j’y aille quand il fait pas beau.

Sauf aujourd’hui. C’était tellement drôle d’ouvrir les cadeaux ce matin, sans papa pour m’aider à défaire les nœuds. Du coup, papi et mamie étaient là et c’est eux qui m’ont aidé pendant que maman prenait des photos. Après on a mangé tous ensemble mais c’était bizarre, j’étais content de mes cadeaux mais en même temps j’étais malheureux. Je sais pas comment expliquer.

Heureusement, maman me dit souvent que pour elle c’est pareil alors qu’elle comprend ce que je veux dire, même si je suis trop petit pour connaître les mots.

Quand ils sont partis, maman m’a mis mon gros manteau et on est venu souhaiter un joyeux noël à la petite graine. Moi je l’ai appelée « papa » parce que si ça se trouve, ça y est, il est arrivé dedans et il nous entend.



26 Mars 1980, 14h30.

Enfin on est revenu voir la petite graine, cela faisait longtemps ! J’avais un peu peur parce-que maman m’avait expliqué que peut-être, ce n’était pas la bonne graine et que cela n’aurait pas marché… J’espérai vraiment que si !

Quand on est arrivé, il nous a fallu un moment pour retrouver mon galet… il était presque tout effacé : les lettres avaient disparu et presque toutes les couleurs étaient délavées par la pluie et la neige. Heureusement, il restait un peu de vert sur les côtés.

Maman m’a dit « regarde Mathieu », et juste devant, il y avait une drôle d’herbe minuscule et je me demandais ce que c’était. Alors maman m’a dit que c’était lui, mon arbre, qui avait réussi à naître grâce au nid confortable que nous lui avions donné…

J’étais très déçu et triste parce-que c’était impossible, mon papa si grand et fort ne pouvait pas contenir dans une si petite plante. Maman a sourit et m’a expliqué que les arbres sont comme les papas, avant d’être grands et forts, ils sont tout petits et ont besoin qu’on les aide à grandir.

En rentrant à la maison, elle m’a montré des photos de papa quand il était bébé et puis un petit garçon comme moi… ça faisait drôle de le voir avec mamie qui n’était pas tout à fait mamie.



14 juillet 1980, 10h30.

Ça y est, c’est les vacances ! Maman me laisse venir voir mon bébé arbre tous les jours, tout seul avec le vélo que j’ai eu pour mes cinq ans. Comme il fait très chaud, je viens le matin et je reste jouer à côté de lui. Je ramasse des bâtons, des cailloux et je m’imagine une histoire que je lui raconte…

Parfois il bouge ses feuilles et je suis sur que c’est pour me dire qu’il comprend ce que je lui dis. Peut-être que c’est vrai que mon papa est là, mais qu’il est trop petit pour pouvoir me parler ?



25 Octobre 1980, 17h00.

Aujourd’hui, ça fait un an que papa est parti. Tous les soirs, je regarde son portrait dans ma chambre pour lui souhaiter une bonne nuit. Je regarde aussi souvent les photos que maman a mises dans un album pour moi tout seul et je me rappelle encore un peu de certaines chose mais il y en a beaucoup que j’ai oubliées… ça me rend malheureux même si maman me rappelle que l’important c’est de se rappeler l’amour que nous avions pour lui et qu’il avait pour nous. Et ça, c’est sur, je peux pas l’oublier tellement il me manque.

Le plus dur c’est le soir à l’école, quand je vois d’autres papas venir chercher leurs enfants et les serrer dans leurs bras… maman a beau faire, elle ne peut pas remplacer ces câlins-là.

31 Octobre 1980, 16h00.

C’est le premier anniversaire de mon bébé arbre et on est venu le voir pour lui préparer un abri pour l’hiver. Maman m’a expliqué que ça allait être très dur pour lui de supporter le froid, parce-qu’il était encore très petit et fragile. Alors on a décidé de l’aider et on lui a mis plein de choses douces et chaudes dessus pour le protéger du froid. J’ai repeint mon galet et je l’ai même verni, pour que les couleurs tiennent mieux.



10 mars 1981, 14h00.

Ouf ! L’hiver est presque fini et on a enfin pu revenir voir comment allait mon bébé arbre. En marchant avec maman, on a bien rigolé parce-que je lui ai raconté les bêtises que Nicolas, mon copain d’école, faisait en classe. Je lui ai montré la danse des indiens, que nous répétons en secret pour le spectacle de l’école… elle a trouvé ça très réussi.

Quand on est arrivé, je n’en suis pas revenu tellement il avait changé… c’était un vrai petit arbre en miniature, avec des feuilles et un tronc d’écorces… maman a ri en voyant ma tête et elle m’a dit que lui aussi devait être bien surpris de voir comment j’avais grandit cet hiver …

J’étais très fier de mon enfant arbre, et heureux aussi parce-que je savais que le plus dur était passé pour lui, que maintenant il était plus costaud pour se protéger des prochains hivers.



25 Décembre 1984, 8h00.

Assis devant le sapin, entouré de cadeaux, je pose devant l’appareil photo de maman qui sourit. C’est à ce moment que Jean-Marc arrive au salon, ébouriffe ma tête et se penche vers elle pour l’embrasser. Cela fait plusieurs mois qu’il vit avec nous, et je suis très content qu’il soit là. Même si c’est parfois difficile de savoir comment m’y prendre avec lui.

J’ouvre mes paquets et dans l’un d’entre eux, je découvre un petit pyjama pour bébé… je demande à maman ce que c’est et c’est là qu’elle m’annonce que je vais bientôt être grand-frère. Je ne suis pas sur que ce soit une bonne nouvelle, l’idée de partager maman avec un autre enfant ne me plaît pas vraiment… et puis, peut-être elle l’aimera plus que moi ? Et puis, ce bébé, il aura son papa, lui !

Heureusement, il me reste mon arbre : c’est mon secret, il n’y a que maman qui le sache.



14 Mai 1988, 14h00.

Aujourd’hui, mon petit frère a tout juste quatre ans. Il s’appelle Christophe et j’aime bien m’amuser avec lui. Pour son anniversaire, maman m’a proposé de lui offrir mon vélo de petit… j’étais d’accord et je l’ai même repeint en rouge pour qu’il redevienne aussi beau que quand je l’ai eu. Je suis sur que Chris va l’adorer.

Je ne vais presque plus voir mon arbre. Je trouve nul de lui parler, j’ai l’air d’un débile. En plus, j’ai bien compris que c’était des bêtises, que mon père ne peut pas être là. Et puis même s’il est là, de toute façon, je ne veux pas lui parler ni aller le voir. Il n’avait qu’à pas mourir et nous laisser comme ça. Maman ne veut pas que je dise des choses comme ça mais moi, je le déteste d’avoir fait ça.



30 Octobre 2012, 16h30.

Voilà des années que je ne suis plus venu ici. Il m’en a fallut du temps pour calmer ma colère et retrouver le lien vers mon père. A vrai dire, c’est la naissance de Louise, il y a cinq ans, qui a tout fait basculer et m’a fait comprendre que mon père n’avait pas choisi de mourir.

Son cerveau a fait une étincelle, sans qu’il le veuille et sans qu’il s’y attende et voilà, c’était fini.

Je suis terrorisé à l’idée qu’il puisse m’arriver la même chose, même si des examens préventifs ont montré que tout allait bien. Je ne veux pas perdre Louise, je veux la voir grandir et devenir la belle jeune fille qu’elle sera dans quelques années.

Il y a quelques jours, elle m’a posé des questions sur mon père, me demandant comment c’était quand j’étais petit. Alors j’ai eu envie de revenir voir mon arbre, qui a certainement continué de grandir lui aussi, pour lui présenter ma fille et leur expliquer à tous les deux, le lien qui les unit.

Bien sur maman est venu avec nous. Après tout, c’est elle qui, grâce à sa merveilleuse histoire, m’a permit de continuer à grandir à l’ombre d’un père aimant et protecteur.

Myriam