Destination : 230 , Mon ami Roald


La potion magique de la sorcière Myriam (3)

Je n’étais jamais revenue dans ce village, je n’avais pas revu la maison de mon enfance ni même été une seule fois déposer quelques fleurs sur la petite tombe. Les années avaient passé, j’étais devenue une jeune fille, puis une jeune femme. J’avais fait de brillantes études avant de devenir informaticienne. Cela faisait huit ans que j’occupais un poste de cadre dans une grande boite de la région quand je décidai, à l’aube de ma troisième décennie, de revenir sur les traces de mes premières années.

Un week-end de fin de printemps, je plaquai tout : famille, amis, sorties pour venir m’enterrer dans ce trou de campagne. J’emportai avec moi le vieux livre de recettes chipé dans la cuisine de ma grand-mère et, bien sûr, l’étrange recette qui était glissée entre les pages.

Plus jeune, j’avais cherché à comprendre ce que pouvait bien être cette « potion », à quoi elle servait, à qui elle était destinée. Je m’étais interrogée sur son origine : magie noire ou magie blanche ? Et surtout, j’avais essayé de découvrir qui était cette fameuse sorcière portant le même prénom que le mien… Mes questions étaient évidemment restées sans réponses. Bien sûr, dans la ferveur de mon adolescence, j’avais souvent envisagé de la réaliser, mais difficile de le faire discrètement quand on vit chez ses parents ! Et puis, emportée par mes études puis mon métier qui me passionnait, je l’avais oubliée.

C’est d’ailleurs en rangeant mes affaires dans ma chambre d’enfant que je retrouvai le livre et le papier jauni. Et l’envie de savoir, enfin de comprendre, me saisit avec violence. C’est ce qui me décida à revenir au village. Je savais qu’il ne resterait pas grand-chose de la petite maison : vendue en même temps que les terres à un agriculteur voisin, elle avait été laissée à l’abandon. Et, en effet, je ne fus pas surprise de trouver les murs délabrés, la toiture effondrée au travers de laquelle poussait un noisetier. Ce détail me sembla être un signe du destin : les feuilles de cet arbre étaient l’ingrédient principal de la recette. Je n’avais plus le choix, je devais tenter de réaliser cette préparation mystérieuse !

En rentrant chez moi, ce soir-là, je commençai par regarder les dates de la prochaine pleine lune qui tombait trois semaines plus tard. Je pris mon téléphone et appelait le propriétaire de la vieille maison, me présentant et lui demandant la permission d’y venir camper pendant une semaine. Je prétextai un besoin de retrouver mes racines et mes souvenirs, mon attachement à ce pays et cette terre qui avait bercé mon enfance. Je pense qu’il fut sensible à ma démarche car il accepta sans hésitation, allant même jusqu’à me laisser son portable personnel pour le joindre sur place en cas de besoin.

J’occupai les trois semaines suivantes à rassembler les ingrédients nécessaires ce qui, pour une citadine, relevait parfois d’une véritable expédition ! Mais je réussis à les trouver presque tous et même à dénicher un vieux chaudron que je payai à prix d’or dans une brocante des environs.

J’arrivai sur les lieux par un samedi pluvieux. Le fils du voisin était là pour m’accueillir et me donner les clés que son père avait conservées depuis presque vingt ans. Je fus émue de cette attention, tout aussi charmante que le garçon qui se trouvait en face de moi. L’état de la maison rendait l’utilisation de portes et serrures parfaitement inutile, néanmoins ce geste était aussi délicat que symbolique. Je remerciai donc chaleureusement mon hôte avant son départ.

Je pénétrai dans la maisonnette, vidée de ses meubles, à l’exception d’un buffet et d’une armoire vermoulue dans laquelle trainaient encore quelques vieux draps d’autrefois, rêches et parfumés de poussière ainsi que quelques bocaux dont je ne pus identifier le contenu. Laissant là mes explorations, je revins vers la cuisine qui était la pièce la mieux conservée de la maison : j’y vis là un deuxième signe du destin. Je déchargeai ma voiture et entreposais là tous mes ingrédients.

Puis je sortis de la maison et installai ma tente au pied d’un vieux chêne aux branches épaisses et feuillues qui me protégeait presque parfaitement de la petite pluie fine. J’avais trois jours, ou plutôt trois nuits, à attendre avant que la lune n’atteigne son zénith…

Myriam