Destination : 14 , Destination maudite


Première Affectation

- Ha ! C’est vous le nouveau ?

- Oui, monsieur le commissaire.

- Et vous vous appelez comment, rappelez-moi ?

- Lajaunie, monsieur le commissaire, Gaétan Lajaunie.

- Lajaunie ?

- Oui, commissaire.

- Vous vous appelez vraiment comme ça ?

- Oui, commissaire. L.A.J.A.U.N.I.E, comme les cachous….

- Bien, je vois que vous avez des références…

- Heu… merci, monsieur le commissaire…

- Oui, bon allez stop ! On n’est pas là pour se faire des politesses, n’est-ce-pas, Lajaunie ?

- Non, monsieur le commissaire.

- On est là pourquoi alors ?

- Pa… Pardon ?

- Vous avez un problème d’audition, Lajaunie ?

- Non, non …

- Alors répondez à ma question : on est là pour quoi ?

- Pour travailler, monsieur le commissaire ?

- Evidemment, vous ne croyez tout de même pas qu’on vous a envoyé ici pour tricoter des moufles ?

- Bien sûr que non !

- Bon alors, suivez-moi…

- Oui, monsieur le commissaire.

- Nous y voilà.

- Où ça, monsieur le commissaire ?

- Sur les lieux du crime, voyons !

- Le crime ?

- Oui, Lajaunie, le crime. Ce pourquoi on vous a formé, vous vous rappelez ?

- Heu oui…

- Bon alors, dites-moi. Que pensez-vous de cette affaire ?

- Moi ? Ce que j’en pense ?

- Ben oui, vous. Vous êtes policier, je ne me trompe pas ?

- Si, enfin, non, je veux dire, vous ne vous trompez pas, monsieur le commissaire…

- Bon alors, j’attends une réponse : quel est votre avis sur cette affaire ?

- C’est que… je sors tout juste de l’école, c’est ma première affectation et…

- Et quoi ? On ne vous a rien appris à l’école ?

- Si, si, évidemment, je suis même sorti second de ma promo…

- Félicitations ! Alors je vous écoute : quand on arrive sur une scène de crime…

- … la première chose à faire, c’est de déduire les faits pour essayer de reconstituer le fil des évènements.

- Exactement ! Bravo, Lajaunie ! Et pour cela, il faut partir de quoi ?

- De ce que l’on voit…

- Et donc, que voyez-vous ?

- Là ?

- Et bien oui, vous êtes idiot ou quoi ! Que voyez-vous, là ?

- Heu… rien.

- Rien ?

- Non, monsieur le commissaire.

- Absolument rien ?

- … non…

- Réfléchissez bien.

- … je suis désolé, monsieur le commissaire, mais là, vraiment, je ne vois rien…

- Mais c’est une bonne réponse, Lajaunie ! Vous êtes vraiment un observateur très fin… Effectivement, il n’y a rien à voir ! Alors, que faisons-nous maintenant pour pouvoir continuer l’enquête ?

- Ben… il faut rechercher des indices ?

- Splendide ! Vous êtes drôlement intelligent, Lajaunie ! Je sens que cette fois, ils nous ont envoyé une vraie lumière. Donc, pour rechercher des indices, que faut-il mettre, afin de ne pas polluer la scène ?

- Des gants, des chaussons et une blouse de protection, monsieur le commissaire.

- Tout à fait inspecteur, je dis « inspecteur » car à ce rythme-là, vu votre esprit logique et votre perspicacité (à vos souhaits !), je ne doute pas que vous n’obteniez rapidement une promotion. Tenez, prenez et enfilez ça, cela fera très bien l’affaire !

- Mais… ce sont les affaires de la femme de ménage…

- Oui, je sais bien, je ne suis pas aveugle. Mais, là, tout de suite, on n’a que ça sous la main alors on fait avec les moyens du bord. Et vous allez vite découvrir que les moyens de la Police Nationale sont très limités, mon cher Lajaunie. Il va falloir vous y habituer…

- Bien, d’accord, monsieur le commissaire.

- Gaspaaaaaaaaaard !

- Vous avez besoin de moi, commissaire ?

- Oui Gaspard. Veuillez mettre en route le poste de musique, là. Merci…

- C’est quoi ça ?

- Quoi donc Lajaunie ?

- Ben… cette musique…

- Ça ? C’est la bande originale du film « Les Oiseaux », d’Alfred Hitchcock. Vous ne connaissez pas ?

- Si, si mais… je veux dire, pourquoi vous mettez cette musique ?

- Pour l’ambiance, Lajaunie, pour l’ambiance ! Pour donner un peu de suspense à cette enquête… Vous ne trouvez pas que tout de suite, l’atmosphère est plus énigmatique ?

- Si ça vous fait plaisir, monsieur le commissaire…

- Bon, je vois que vous n’êtes pas mélomane, c’est dommage. Enfin, continuons. Nous en étions où ?

- Chercher des indices, monsieur le commissaire.

- C’est bien Lajaunie. C’est agréable de travailler avec quelqu’un d’aussi concentré… Allez-y.

- Je dois chercher des indices ?

- Oui, Lajaunie, vous n’avez pas mis ces gants et ce tablier pour faire le ménage, non ? Alors quittez cet air stupéfait et parfaitement idiot ! Bougez-vous les fesses, espèce d’empoté ! Cherchez moi les indices !

- … Commissaire ?

- Quoi encore, Lajaunie ?

- Comment je peux trouver des indices puisqu’il n’y a rien ?

- Mais c’est une remarque très intéressante, ça, Lajaunie ! Bravo pour votre esprit de déduction… donc, que fait-on quand on ne trouve aucun indice directement sur la scène du crime ?

- On élargit le périmètre des investigations, commissaire.

- Pas mal, pas mal… continuez…

- Et bien là, dans les environs immédiats, il y a … les toilettes des dames…

- Ben alors, qu’attendez-vous pour y aller ?

- Y aller ? Moi ?

- Mais oui, vous, Lajaunie ! Il n’y a que nous deux dans ce couloir et vous ne croyez tout de même pas que je vais faire votre travail ?

- Non, bien sûr, monsieur le commissaire.

- Alors allez-y, qu’est-ce que vous attendez !

- Oui… heu, enfin… vous êtes sûr monsieur le commissaire ?

- Lajaunie, vous discutez mes ordres ou ma méthode ?

- Aucun, monsieur le commissaire. J’y vais…

- …

- Lajaunie ?

- Oui commissaire ?

- Puisque que vous êtes là, prenez la brosse à droite de la cuvette et passez un petit coup dans les toilettes. Justement la femme de ménage est en arrêt maladie depuis une semaine…

- Vous plaisantez ?

- Est-ce que j’ai l’air de plaisanter ? On ne vous a jamais dit que les flics faisaient un boulot de merde ? Vous voilà dans le bain, mon cher! Je ferme la porte pour vous laisser réfléchir un peu à tout cela. Allez, à plus tard…

- …

- Gaspaaaard ?

- Oui, commissaire.

- C’est bon, éteignez la musique. Il a été un peu plus coriace que les autres, mais j’ai réussi. Il va passer un moment au trou, jusqu’à ce qu’une dame ait un besoin pressant… Depuis que je suis ici, c’est la quatorzième bleu que j’envoie dans cette destination maudite ! Ha, ha, ha…

Myriam