Destination : 5 , Si on s'écrivait ?


Vivre et Mourir. Chroniques de la 1ère guerre (3)

Léa – 23 janvier 1917



Mon cher amour,



Jean est de retour parmi nous depuis quelques jours. Quel soulagement, mais aussi quel gâchis ! Si jeune et si vaillant, il était plutôt joli garçon. Maintenant, plus aucune fille ne voudra de lui. Même Augustine, qui pourtant l’aimait bien avant son départ, détourne les yeux et évite de le rencontrer. C’est bien simple, ici, au village, je crois que pas un n’a été effrayé en voyant son visage. La seule qui est allée vers lui sans effroi, avec toute l’innocence de ses deux ans, c’est sa nièce, ma Louisette, notre fille. Il en a pleuré, le pauvre, en la serrant contre lui. Depuis, nous nous habituons peu à peu à ses blessures. Peut-être qu’avec le temps, elles s’estomperont ? Jean ne veut rien nous dire de ce qu’il se passe là-bas. Tout au plus a-t-il glissé quelques mots à votre père sur la façon dont sont bâties les tranchées, l’autre soir à la veillée.

Il n’a pas manqué de me donner ta lettre, dès son arrivée. J’ai été bien heureuse de te lire… Tu me demandes des nouvelles de la ferme. Comme tu peux t’en douter, le travail ne manque pas ! Ton père et moi avons passé la semaine dans la vigne du champ de Peyrecave, sous le gel, à tailler les sarments. Pour me donner le courage de supporter le froid, je me disais que ce n’était pas grand-chose à côté de ce que tu dois endurer. D’ici un mois, il faudra atteler les bœufs et préparer la terre pour les semis. J’espère que Jean sera en meilleure forme, il nous aidera, il a plus de forces que moi pour pousser la charrue.

Nous sommes sans nouvelles d’Edmond, ta sœur prie pour que son régiment soit en mouvement et redoute chaque jour la venue du maire. Cela fait quelque temps qu’il n’a pas eu de mauvaises nouvelles à apporter, ce pauvre monsieur Bourdigon ! Je pense que l’écharpe doit être pour lui bien lourde à porter depuis le début de cette saleté de guerre !

J’espère que tu reviendras bientôt. L’autre soir, je sais que ce n’est pas chrétien de dire ça, mais j’ai prié le seigneur de te ramener bien vite auprès de nous, comme Jean. Même défiguré comme lui, je suis sûre que je t’aimerai toujours autant, tiens !

Je t’embrasse bien tendrement…

Myriam