Destination : 182 , A table !


Le Gâteau d'Anniversaire

Il était une fois, dans le royaume de frigidaire, deux jolis œufs qui, comme l’oiseau et le poisson de la chanson, s’aimaient d’amour tendre mais ne savaient comment s’y prendre… Ils s’étaient rencontrés la veille, dans le petit panier d’osier où une jolie menotte les avait délicatement posés, sous le regard attentif de sa grand-mère. Ils avaient ensuite fait le voyage sur les genoux de la fillette, qui, en rentrant chez elle, les tendit fièrement à sa mère en lui disant : « ‘gade, maman ! é amassé ma pou tateau nam emain ! » (ce qui peut approximativement se traduire par : « regarde maman ! j’ai ramassé des œufs pour faire mon gâteau, demain »).

Mais revenons à nos amour’œufs. Déjà, pendant le trajet, ils s’étaient longuement observés : il avait pu admirer sa peau d’une blancheur d’albâtre et l’arrondi parfait de son galbe, tandis qu’elle fondait devant les petits points de rousseur qui constellaient sa coquille brune, comme des milliards d’étoiles dans un ciel d’août. Leur différence de couleur, loin de les gêner, les enchantait et ils ne se formalisaient point de n’être pas sorti du même nid de poulailler. Mais hélas, l’un et l’autre étaient rongés d’une timidité maladive et, dans ce cas, il est très difficile de sortir de sa coquille…

Ils passèrent la nuit suivante au frais, sagement rangés l’un à côté de l’autre dans l’immensité glaciale de la zone polaire de la maison. Confortablement installés tout en haut de la porte, ils bénéficiaient d’une vue imprenable sur le paysage qui s’offrait à eux, et eurent tout loisir d’en observer la faune et la flore chaque fois que la porte s’ouvrait en déclenchant le néon. Ils furent impressionnés par le régiment des desserts qui s’alignaient en rang selon leur catégorie : les yaourts, les flans, les petits-suisses, les crèmes et les compotes. Juste en dessous, ils découvrirent la panoplie des fromages odorants enfermés dans une boite hermétique et, au dernier étage, ils aperçurent quelques fruits et légumes colorés : tomates, poivrons jaunes et verts, carottes, fenouil, etc., mélangés en un incroyable camaïeu de couleurs.

Ce n’est que le lendemain, en début d’après-midi, à l’heure où la maisonnée s’assoupit et offre une ou deux heures de calme et de répit à la maîtresse des lieux, que le destin vint enfin à la rescousse de nos deux amoureux transis ( !).

Ils sortirent de leur chambre froide (l’hôtel était climatisé) pour atterrir sur le plan de travail, juste à côté d’un saladier de terre cuite qui, au vu de ses nombreuses blessures, ne devait pas être un novice. C’est là que, l’un après l’autre, ils brisèrent leur coquille pour atterrir sur un lit de sucre moelleux, épais de quelques cent-vingt grammes. Quelques gouttes de vanille liquide vinrent bénir de leur doux parfum envoutant les deux fiancés qui frissonnèrent d’impatience.

Puis, à l’aide d’un fouet, une main experte les aida à se rapprocher l’un de l’autre, d’abord doucement pour ne pas les brusquer, puis de plus en plus intensément au fur et à mesure que leur passion s’exacerbait, jusqu’à obtenir un beau mélange onctueux et mousseux à souhait, d’une belle couleur crème. Pour consolider cette union toute nouvelle, une neige de farine tamisée d’environ vingt-cinq grammes vint blanchir leur surface avant d’être délicatement incorporée, et cette opération fut renouvelée quatre fois, jusqu’à ce que la préparation soit parfaite.

Il ne restait plus maintenant qu’à disposer le tout dans un joli moule, en forme de cœur bien évidemment, et dont les parois avaient été préalablement astiquées avec une noisette de beurre avant d’être blanchies d’une pincée de farine pour la cérémonie.

Enfin, vint l’heure de la célébration. Une sonnerie vint avertir que tout était prêt pour accueillir la noce et ils furent aussitôt présentés devant la grande autorité de la cuisine, Monsieur Dufour. Celui-ci, pour l’occasion, avait préchauffé son cabinet de travail à une température de 180°, qui fut maintenue pendant toute la durée de la cérémonie, c’est-à-dire quarante minutes.

Pendant ce temps, les ustensiles de préparation (saladier, fouet, et autres cuillères en bois) furent soigneusement nettoyés à l’eau savonneuse, puis essuyés et rangés jusqu’à la prochaine utilisation.

Une odeur appétissante envahissait la maison quand, enfin, les cloches sonnèrent à la volée la fin de la cérémonie et les jeunes mariés sortirent de la salle. Ils furent placés sur le rebord de la fenêtre, pour leur permettre de respirer un peu d’air frais, bienvenu après toutes ces émotions.

Ils eurent le droit de quitter leur moule, devenu un peu trop étroit, et s’installèrent à la place d’honneur, sur un joli plat de porcelaine blanche qui mettait en valeur le roux-doré de leur peau. Ils furent accueillis par une pluie de vermicelles multicolores qui vinrent se disperser sur toute leur surface, et enfin, trois bougies furent plantées, pour éclairer la fête d’une jolie lumière.

Tout était prêt pour une soirée inoubliable…

Myriam